Au bord de la falaise

Sophie, complètement désespérée, s’est assise au bord de la falaise abrupte.

Quelques instants avant, elle n’a pas tenu compte du panneau annonçant le danger.
Elle a enjambé la barrière de sécurité et maintenant elle est au bord même de la falaise.
Au-dessous d’elle, les vagues s’écrasent contre les rochers avec une telle violence qu’elles recouvrent ses jambes d’écume.
Ses bottes en cuir, ses préférées, s’en trouvent abîmées. Mais cela n’a pas d’importance, elle n’en aura bientôt plus besoin.

Au bord du précipice, son hésitation ne fait aucun doute.
Elle en a assez de la vie en général et de sa vie en particulier.
Sophie a essayé tant de fois de changer les choses, de faire autrement.
La plus belle victoire pour elle aurait été d’avoir une journée un peu plus supportable, ne serait-ce qu’une fois.
Mais Sophie en revenait toujours à l’échec, au blâme, à la honte et à la culpabilité.

Elle n’en pouvait plus et il n’y avait qu’une seule façon de s’échapper de cet enfer qu’était sa vie.

Sophie essuya ses cheveux humides et son visage. Si quelqu’un avait été là pour la voir, on aurait pu lui pardonner de penser qu’elle pleurait. Mais ce n’était pas le cas, ces larmes étaient taries depuis longtemps.
Son visage ne montrait aucun signe d’émotion, juste de la résignation sur ce qu’elle avait à faire.

Elle s’assit et regarda les mouettes crier et plonger dans l’océan pour en ressortir avec un poisson.
Elle pensa un instant qu’elle avait aperçu un phoque au loin. C’était possible, car des marins en avaient signalé dans la région.

Qu’attendait-elle ?
Sophie se posa cette question, et la seule réponse qu’elle put trouver était que la mer n’était pas encore assez haute.
Il lui serait plus facile de sauter quand elle verrait de l’eau sous elle plutôt que des rochers qui briseraient son corps.
Son seul véritable souci était que la mort soit instantanée, elle ne voulait pas agonir pendant de longs instants.

Perdue dans ses pensées, Sophie n’avait pas remarqué l’arrivée d’un chien, pas avant qu’il ne se soit allongé à environ un mètre d’elle. Lui aussi regardait tristement la mer. Sophie a essayé d’ignorer sa présence, mais elle avait toujours eu une empathie extrême pour les animaux et celui-ci semblait particulièrement, mal en point depuis longtemps.

Elle regarda le chien et le chien tourna légèrement la tête vers elle. Ne bougeant pas, il gémit, et Sophie ne put s’empêcher d’être émue. Elle tendit doucement la main vers lui, un berger allemand, qui était complètement sous-alimenté. Elle pouvait voir des blessures sur son flanc droit et son dos. Des plaies qui s’étaient infectées faute de soins.

Devant cette scène, Sophie a retrouvé sa voix.
— Viens ici, mon brave, je ne te ferai pas de mal. Je te le promets.

Le chien la regarda avec une telle tristesse, mais il ne bougea pas, pas avant quelques minutes. Il se dirigea vers elle de quelques centimètres, puis de quelques centimètres encore. Sophie toucha son flanc, en prenant soin de choisir un endroit non meurtri.

Le chien tremblait sous ses caresses.
De toute évidence, il aspirait au confort, mais en même temps, il souffrait de blessures physiques et morales.
Tout comme elle, pensa Sophie, ses cicatrices internes n’étaient pas visibles.
Elle serait patiente avec lui. Après tout, elle n’avait plus rien d’autre de prévu.

Le berger allemand s’est rapproché et c’est assis juste à côté de Sophie. Leurs flancs se touchaient, puis il a lentement posé ses pattes et sa tête sur ses genoux. Visiblement épuisé, le chien sombra dans un profond sommeil, tandis qu’elle continuait de regarder la mer.
Était-il mort ?
Malgré les douces caresses, le berger n’avait pas bougé depuis un certain temps.

Soudain, Sophie fit un pacte avec le destin.
Si le chien se réveillait, elle le ramènerait à la maison. Elle lui montrerait qu’il y avait des gens dans le monde qui se souciaient vraiment des autres. Mais si le chien mourait, Sophie l’amènerait avec elle dans sa chute mortelle.

Les blessures sur le corps du chien l’ont mise en colère. Les gens pensaient qu’ils étaient si supérieurs, que la vie d’autres créatures n’avait tout simplement pas d’importance. La colère a été remplacée par le chagrin, et finalement des larmes qu’elle pensait avoir séchées depuis longtemps ont commencé à couler sur son visage et sur la tête du chien endormi.

Il y eut une agitation, un mouvement inattendu.
Sophie baissa les yeux. Le berger allemand la regardait avec des yeux tristes et compréhensifs. Puis il se releva péniblement et lécha les larmes de Sophie.

Fatigués, battus, mais résolus, la femme et le chien se sont enfin levés.
Avant qu’elle n’ait le temps de changer d’avis, Sophie passa par-dessus la barrière pour s’éloigner du bord de la falaise. Le chien marcha lentement et péniblement à côté d’elle.
Il n’y aurait aucun moyen d’échapper à la douleur, ni pour l’un ni pour l’autre, mais ils se soutiendraient, prendraient soin l’un de l’autre, et peut-être que cela suffirait.

Gilles Heuline (Grimaud)

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Written by Grimaud

La passion d'écrire et de partager. L'astronomie occupe aussi une grande place dans ma vie.

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