Une histoire de TCA – Chapitre 1

À toi, petite JoĂ©lie. Si au moins, j’avais pu te voir comme je te vois aujourd’hui. À toi, et Ă  toutes les autres petites filles.

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Une enfance qui semblait problĂ©matique; ça je pense que tout l’entourage de ma famille l’avait remarquĂ©, mais n’a rien fait vraiment. Parce que hey, les annĂ©es 90, ce n’est pas comme le nouveau millĂ©naire dans lequel on vie, oĂč la DPJ est rapidement avisĂ©e, oĂč les gens sont plus alertes et, plus empathiques envers le monde. Dans le temps, les claques, c’était chill. Une bonne gifle, c’était juste pour te rappeler les consignes, te rappeler que c’est papa qui dĂ©cide, te rappeler que t’as aucun pouvoir sur ta vie. Parce qu’on va se le dire, un enfant qui s’exprime et qui est reconnu dans ses Ă©motions, ça crĂ©e des tapettes et des fefilles! –Sight**

On nous l’a souvent rappelĂ©, Ă  mon frĂšre, ma soeur et moi, que c’était ben important de finir son assiette. Pas seulement de la finir, mais de pas dire un mot si on n’aimait pas ça, surtout, tout manger jusqu’à ce qu’il ne reste aucune graine dans l’assiette. Mon pĂšre a Ă©tĂ© Ă©levĂ© comme ça dans les annĂ©es 60-70, la base fondamentale Ă©tant la peur du manque. La peur de se lever un beau matin et que le frigo soit vide pour la famille de 9, pas un sou en poche, Ă  attendre que le chĂšque de pension de l’armĂ©e entre dans la boĂźte aux lettres. Mon pĂšre a vĂ©cu cette rĂ©alitĂ© dĂšs son plus jeune Ăąge, et s’est assurĂ© que le sentiment de plĂ©nitude soit absolument satisfait, sans doute que ça lui apportait bonne conscience. C’est sans doute pour ça qu’un moment donnĂ©, quand il a commencĂ© Ă  faire plus d’argent, qu’il s’est noyĂ© dans la surconsommation.

Alors, mes bases; la peur d’en manquer, la surconsommation. S’en suivirent de maintes autres, plutĂŽt Ă©motionnelles, et on va se le dire, Ă  connotation traumatique qui m’ont soutenu dans cette vie que je dĂ©sire amĂ©liorer aujourd’hui. Mon estime et mon image corporelle a Ă©tĂ© durement atteinte depuis ma jeunesse, par des traumas familiaux et conjugaux. C’est pas Ă©vident, essayer de dĂ©construire des bases qui ont Ă©tĂ© solidifiĂ©es non seulement par tes parents, par leurs croyances, mais aussi celles de la sociĂ©tĂ©. Mais la sociĂ©tĂ©, c’est la grosse bĂȘte noire, on y reviendra. Pour l’instant, je dois plutĂŽt te dĂ©peindre mon contexte d’enfance pour que tu comprennes bien d’oĂč je viens. Quand j’étais jeune, j’aurais aimĂ© pouvoir avoir une boule de cristal entre les deux mains pour prĂ©dire mon avenir et pouvoir modifier le cours des choses, mais peut ĂȘtre aussi d’avoir Ă©tĂ© plus sensibilisĂ©e sur des sujets tabous, sur l’importance de s’Ă©couter et de s’aimer, ça aurait pu me donner un petit coup de pouce.

Juste pour pouvoir souffler un instant, pas juste pendant une courte marche au bord du lac, mais plus souvent, et ce pour aucune raison valable. Juste de pouvoir exister, sans m’en faire, sans me sentir coupable, sans m’auto-flageller, sans me trouver grosse ou laide, ça aurait Ă©tĂ© un petit charme. Les Ă©vĂšnements et les expĂ©riences qui m’ont menĂ© jusqu’ici sont non seulement nombreux, mais d’une tristesse et d’une violence, par moment impensable, par d’autres soft
 Somme toute, c’est l’histoire de ma vie, ma jeune vie de 28 ans, qui construit qui je suis aujourd’hui.

Mais, qui suis-je?

Une victime.

La victime de qui? Me demanderas-tu?

Une victime de mes parents. Une victime de mes exs. Une victime de la sociĂ©tĂ© patriarcale aux standards de beautĂ©s idĂ©aux. Mais surtout, une victime de mon propre esprit. Victime d’une pensĂ©e toxique.

Parce que la pire des mĂ©chancetĂ©s peut venir de nous-mĂȘme, peut arriver souvent et ĂȘtre la plus cruelle de toute. Ici, je n’excuse pas, ni ne diminue la gravitĂ© des comportements des gens qui m’ont agressĂ© ou violentĂ©. Ces blessures sont profondes et forgĂ©es dans mon histoire. J’exprime seulement la rĂ©alitĂ© qui me remplit prĂ©sentement, parce que la souffrance causĂ©e par les autres s’est estompĂ©e par le temps. Parce qu’aujourd’hui, je ne suis plus victime de mes parents, ni de mes ex(du moins pour l’instant
) mais surtout de moi-mĂȘme, par mes pensĂ©es auto-contrĂŽlantes et mon auto-jugement. Et la pire de toute mes bĂȘtes, c’est un trouble alimentaire.

Mon TCA, il existe depuis longtemps. Il existe encore et sera sans doute toujours un peu lĂ , me rappeler qu’il est on the side attendant ma prochaine drop. Parfois j’ai mĂȘme l’impression de n’ĂȘtre qu’un ombre de lui, qu’il prends toute la place dans mon corps et ma tĂȘte. Quand je m’ouvre les yeux le matin, je ne sais jamais trop quel masque j’aurai; celui de la boulimique? De l’hyperphagique? Ou juste celui de la grosse, tout le temps? Ça me gĂȘne de dire sur la place publique que j’ai un TCA, parce que je suis certaine que la rĂ©action des gens est; ”ben voyon, comment elle peut avoir un trouble alimentaire si elle est grosse?”.

Le masque de la fille qui se fait persĂ©cuter par rapport Ă  son poids, je le porte souvent. Par moment, j’arrive Ă  faire avec en me disant; bon, s’ils me jugent, ce sont des ignorants.

Sont-ils vraiment des ignorants? Ou je me rĂ©conforte avec de telles idĂ©es? Est-ce que leur idĂ©al devrait ĂȘtre le mien Ă©galement, ou est-il dĂ©passĂ© par des normes de beautĂ©s trop strictes?

À cause de mon poids, j’ai Ă©tĂ© jugĂ©. J’ai Ă©tĂ© repoussĂ©e. J’ai Ă©tĂ© fĂ©tichĂ©e. J’ai Ă©tĂ© trop souvent stĂ©rĂ©otypĂ©e. J’ai aussi dĂ©jĂ  Ă©tĂ© fĂ©licitĂ©e, dans le plus profond de mes troubles alimentaires. La sociĂ©tĂ© ne voit pas la souffrance sous la voĂ»te corporelle, mais constate seulement le niveau de beautĂ© qu’on a, qui est dĂ©fini par l’idĂ©al du patriarcat. Cette image corporelle-lĂ , dite idĂ©ale, j’ai couru aprĂšs toute ma vie, j’en ai rĂȘvĂ©. Si un gĂ©nie m’avait offert un vƓu, j’aurais dĂ©finitivement souhaitĂ© d’ĂȘtre forever mince, oh combien j’ai convoitĂ© cette fantaisie! Si on posait la mĂȘme question Ă  un enfant ou adolescent qui ont une apparence dite correcte, leurs vƓux aurait sans doute rapport au pouvoir, au travail, ou bien au matĂ©riel. Le mien, c’était juste d’ĂȘtre mince, de me dĂ©partir de ma graisse.

C’est triste ça, non? Comme si rien n’importait plus que comment les gens me voyaient, comment ils m’acceptaient. Comme si je n’avais aucune ambition plus grande puisqu’en Ă©tant grosse, ma seule conviction devrait ĂȘtre de vouloir perdre du poids. Quand je pense Ă  la jeune enfant que j’Ă©tais, Ă  toute l’innocence que j’avais, je ne peux imaginer qu’elle subisse la violence de ces normes qui sont pour elle, inutiles mais surtout inatteignables. Aussi, qu’elle se doive d’atteindre ce stade de supĂ©rioritĂ© afin de pouvoir entreprendre des projets, un nouveau travail, une nouvelle relation. Combien de fois une grosse peut se dire : ”je vais aller en France QUAND je serai mince, je vais ĂȘtre pĂątissiĂšre QUAND je vais ĂȘtre mince, sinon les gens vont penser que je mange tous mes gĂąteaux”.

L’obsession d’atteindre la minceur m’a menĂ© Ă  des pratiques corporelles extrĂȘmes; le surentraĂźnement, les vomissements, les mille et un rĂ©gimes et le jeĂ»ne. Tomber dans un TCA, c’est pareil comme sombrer dans une grande noirceur oĂč les issues sont inexistantes. On peut apercevoir une subtile lumiĂšre au bout du tunnel, mais peu importe Ă  quelle vitesse on court, la sortie est inatteignable. Par bout, j’ai l’impression de m’en sortir, mais la base de mes troubles alimentaires vient tellement de loin que je dois dĂ©construire et reconstruire tout ce que je connais.

Prive-toi toute la journĂ©e, binge eat toute la soirĂ©e, et mange absolument toutes tes Ă©motions. Bienvenue dans le cercle vicieux de l’hyperphagie! Vomis ton surplus de calories, here is la boulimie. Sens-toi coupable, recommence le lendemain; un cercle vicieux Ă©ternel dans lequel tu t’enferme Ă  tout jamais!

Qu’est-ce qu’on dĂ©finit comme un rĂ©gime santĂ©, exagĂ©rĂ© ou malsain, c’est quoi les aliments Ă  prescrire et Ă  proscrire? C’est un peu comme une relation amoureuse toxique. La bouffe, je l’aime, mais je le sais qu’elle n’est pas bonne pour moi. Ma liste interne d’aliments ”interdits” est longue, et le jugement est facile dĂšs que mon estomac est trop rempli. Parce que c’est wrong de trop manger, et des excĂšs devraient ĂȘtre compensĂ©s par de l’entraĂźnement, ou ‘’faire attention demain’’. Mais encore
selon qui? Et selon quoi?


Selon toi?

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Written by joelie.d

Depuis mon adolescence, l'Ă©criture est une Ă©chappatoire qui m'est indispensable par pĂ©riodes. Pour moi, Ă©crire, c'est vomir naturellement les mots qui sont ''pognĂ©s'' en-dedans, pour tenter d'en faire une Ɠuvre un tantinet plus charmante.

Je suis femme, dans une société patriarcale.
Je suis mÚre, dans un monde misogyne intériorisé.
Je suis grosse, dans une sociĂ©tĂ© oĂč ĂȘtre mince est un statut.
Je ne suis qu'un ĂȘtre, dans un univers vaste et peu concret.

Mais ici, je ne serai qu'une Ă©criture libre et alĂ©atoire, aux sujets envoĂ»tants ou perturbants, oĂč se retrouvent anglicismes et parlĂ© quĂ©bĂ©cois.

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