Clara

Me voyant désœuvrée pendant les grandes vacances d’été, ma mère m’a envoyé voir sa tante Clara, une vieille dame de quatre-vingt neuf ans, qui avait besoin de compagnie. Elle habitait à la lisière d’une forêt. Je me disais que j’étais comme le petit chaperon rouge. J’ai pris le bus qui serpentait par les collines perdues et qui comme par magie, s’est arrêté devant une petite maison isolée peinte à la chaux. J’ai frappé craintivement à la porte, espérant qu’elle ne serait pas là, ou trop sourde pour m’entendre. Elle a ouvert tout de suite, comme si elle m’attendait derrière la porte. Elle ne souriait pas. Elle était très voûtée. Ça promettait! Elle portait une robe bleu délavé, longue et large et une écharpe en laine grise. On était en juillet! Elle avait de longues mains blanches et osseuses et elle me fixait de ses yeux gris vitreux. Elle m’a guidé vers la cuisine, où le soleil de l’après-midi  entrait à  flots comme une amie bienveillante.

_  Veux-tu du gâteau Sylvie?

Sa voix jeune et suave m’a fait sursauter. J’ai cru qu’il y avait quelqu’un d’autre avec elle. J’ai frissonnée. J’ai cherché partout un gâteau et n’en voyant pas j’ai dit,

_ Ne faites pas de gâteau exprès pour moi Tante Clara. Je n’ai pas très faim.

Là, elle a éclaté de rire. Un rire qui carillonnait, très joli. Ses dents par contre, étaient  très  jaunes et bancales.

_ Il est caché mon gâteau chérie. Je ne le partage pas avec n’importe qui. Toi tu es une invitée très spéciale. La fille de ma chère Olivia. Je suis tellement contente que tu sois là ! Aimes-tu le gâteau au chocolat avec des framboises? Je le garde dans l’arrière  cuisine. Sa voix démentait complètement son apparence. Elle était chaude, douce, chatoyante. Je pensais tout d’un coup à  Hansel et Gretel.

_ Alors? fit-elle.

_ Oui tante Clara, avec plaisir! J’ai dégluti.

_ Tu peux m’appeler Clara. Je n’aime pas qu’on m’appelle ‘tante’. Ça  fait vieux jeu.

Elle sortit en traînant ses pieds et en rigolant tout bas.

J’aurais voulu prendre mes jambes à mon cou, mais en même  temps, je craignais de la blesser. Une rose jaune pâle dans un joli vase, posé sur le rebord de la fenêtre à  carreaux, attira mon attention. D’une beauté  toute fraîche, elle me rassura. Une vieille dame qui s’intéresse aux fleurs, quoi de plus innocent et normal? J’entendis le frottement de ses chaussons sur le pavé,

Le loquet de la porte qui faisait un clinquement de ferraille rouillée et la voilà  de retour. En fait, je ne vis qu’un énorme gâteau, tellement gigantesque, qu’il lui cacha entièrement le visage. Je n’avais jamais vu de ma vie un gâteau si beau!

Le glaçage brillait. Sur le dessus il y avaient des framboises, des violettes, du nougat, des macarons, et j’en passe! Il était époustouflant. Le contraste avec cette vieille dame toute grise, toute fripée, était net.

Elle ne dit rien. Elle posa le gâteau sur la table devant moi. J’ai été émue de la voir souriante, fière de son exploit.

_ Vous l’avez fait vous même ?

_Mais oui! Je l’ai fait ce matin. Il est tout frais. Dans ses yeux, que j’avais trouvés  mornes, il y avait une lueur qui brillait comme une bougie.

Elle me passa une assiette et a coupé  deux

parts de gâteau énormes.

_ On va se régaler toutes les deux ma petite!

Elle riait et je riais aussi.

Pendant ces vacances là, j’ai été voir Clara toutes les semaines. On est devenu de très bonnes copines. Elle m’a appris plein de choses de la vie, que je ne raconterai pas ici, mais j’appréciais vraiment sa compagnie et à  un tel point, que j’oubliais son grand âge.

Elle est morte à l’automne.

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Written by Christine Dubuc

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