Elle vous toise, du haut de ses certitudes, et de sa tour d’ivoire affublée de ses plumes indiennes, qui chatouillent votre égo surdimensionné par des parents aimants. C’est en tous cas ce qu’affirmait Valentin, que j’avais fini par rejoindre dans son studio où trônait des grands classiques mêlés à de vieux magazines insipides. Il y avait là tout le gratin des indomptables, ceux qui avaient décidé de braver le sommeil pour refaire le monde dans une épaisse fumée grisâtre.
Son visage apaisé laissait entrevoir une sorte de libération intérieure. Au milieu du brouhaha général, Valentin semblait avoir oublié les frustrations propres à notre époque, pour ne laisser passer que des constatations personnelles sur des choix de vie alambiqués qu’il défendait bec et ongle.
Selon lui, nos choix n’étaient jamais les bons car ils étaient guidés par notre surmoi. Ces choix n’étaient pas mauvais par nature, et ce n’est PAS parce qu’ils étaient influencés par les autres qu’ils étaient mauvais. C’était plus compliqué que ça. Valentin m’expliquait que nous devons faire ce que nous savons faire de mieux. Et que c’était en faisant ce que nous faisions de mieux que nous pouvions réussir dans la vie.
Par conséquent, lorsque nous avions un choix à faire, nous savions intérieurement lequel était le bon. Malgré tout, nous étions guidés par des influences extérieures qui nous poussaient à faire « le bon choix » tel que les autres le percevaient. Ce qui nous menait à des carrières ratées, des divorces, des dépressions.
J’aimais bien Valentin parce que sa philosophie de comptoir élevait le niveau des soirées parisiennes. Au fond du salon, j’entendais des cris de pimbêches, des batailles d’oreillers, un type à la voix rauque et au débit saccadé essayant de raconter une anecdote interminable, pendant que son ami prédateur essayait d’isoler maladroitement ce qui semblait être une proie à ses yeux. Tout cela conglomérait autour de l’alcool qui coulait à flot.
« Tu as fini de faire ton asocial, me glissa Julie, en me touchant l’avant-bras. Dire que j’ai tout fait pour l’avoir. » me lâcha-t-elle, au sujet de son petit ami, sorte de grand brun à la coupe dylanienne et au regard perçant. Il avait fini par décoller pour Singapour, la laissant livrée à elle-même, les yeux vitreux, l’haleine dosée.
« Tout fait pour l’avoir ? lui répondis-je.
Oui. Lorsque je l’ai vu, j’ai su tout de suite que je le voulais. Je le trouvais tellement beau. Je l’ai dragué et je l’ai eu. »