Lassé de mes élucubrations épistolaires, je décidais de prendre la tangente par le Pont Marie afin d’épouser quelques victuailles sur les quais de la ville, une nuit d’été. Margaux avait la peau cuivrée par les soleils noirs qui encastrent les momies d’Amérique du Sud. Ces paupières de paysanne tranchaient avec son caractère de saltimbanque, et ses lèvres qu’aurait pu dessiner n’importe quel fauviste de seconde zone m’emportaient jusque dans les confins des envies les plus tendres qu’il m’ait été donné d’entrevoir.
Ses sourcils étaient consciencieusement dessinés par-dessus des paupières tristes et affables, que seule une esthéticienne de talent avait pu sublimer. Ne vous avais-je pas dit que la beauté était un art ?
Je ne vous décrirais pas le départ de ses différentes mèches d’éventail, ni son nez rebiquant vers mes yeux de garage. Je ne vous parlerais pas non plus de ses gloussements majestueux qui trahissaient sa lignée libérale et droit-au-butienne. Ni ses perles de bourgeoise qu’on aurait beaufisée pour les besoins du script, et qui ferait craquer n’importe quel notable en manque d’adrénaline.
Mais vous le savez déjà, les fantasmes ne sont que le miroir des chiens de la casse. De ces sous-hommes que la société moderne a mis au ban, sur le bas côté du chemin de croix. Au loin, quelques apôtres laissaient présager du sort qui me serait réservé. Celui d’un badaud qu’on aurait cloué au pilori, dans un carcan psychédélique et anticipatoire, mais qui n’intéressait pas les historiens de la postérité.
J’avais peut-être ça et là quelque admiratrice qui aurait voulu planter ses griffes de métal sur ma peau balafrée par le linceul de ma condition solitaire, mais certainement pas Margaux, dont les cheveux lisses se jetaient candidement sur une épaule espiègle de pandore. D’ailleurs, la partition qu’elle jouait était absolument parfaite, même si j’aurais aimé que le point d’orgue qui venait de m’achever eût été un Da Capo interminable, où le même joueur – a priori moi – puisse jouer encore et encore, jusqu’à épuisement.
Il ne faut pas détester les joueurs, mais le jeu, paraît-il. C’est en tous cas ce que les pick-up artists déchus et déliquescents s’étaient efforcés de rappeler. Ils avaient fait de la solitude un juteux business. Juteux comme le melon que je dégustais en bord Seine et dont le goût restait gravé dans mon palais d’Aladdin qui n’aurait jamais rencontré le génie de la lampe.
D’été en hiver, les scènes de liesse urbaine se ressemblaient toutes. Des grands hommes plein de charme peinaient à dissimuler leur mal-être derrière des lunettes de ventilos. Ils racontaient leurs derniers pots de départ à des canettes à la Daisy dont on avait envie de laisser glisser une main sur leurs pommettes malicieuses.
Les Gontrans, disposés au milieu, arboraient de flambant tatouages, et agitaient avec leur biceps grandiloquents des bouteilles de vins qui ne finissaient plus de se dégoupiller, avant d’encaisser tout ce beau monde pour le compte d’un Picsou qui payait sa retraite sur le dos de ce malheur d’opérette.
Les portefeuilles se battaient bien plus facilement pour l’alcool que pour les plaisirs du palais. Celui-là même qui avait été rasé par un message atomique que seuls les canetons de mon espèce pouvaient se targuer de recevoir, après une tentative vaine de gravir le col des plaisirs stratosphériques et de la félicité cryptique.
Il faut savoir accepter la défaite. Même lorsqu’elle a un goût de pluie torrentielle et divine. La vie n’est qu’une histoire de compensation. Alors attendons-là, cette compensation !