Le café de Flore

J’aurais aimé vous dire qu’on trouvait dans ce gloubi-boulga enfumé et légèrement bruyant tout le gratin parisien. Que la cervoise coulait à flot, et que la sensualité débordait jusque dans le trépas de la nuit pittoresque et perfide. Que nenni. Ce bar servait de point de ralliement à des silhouettes immobiles et longilignes qui attendaient leur rendez-vous amoureux organisé sur internet. Certains amis aimaient s’y retrouver, sans qu’on sache vraiment pourquoi.

A la jonction de la rue, un voiturier n’avait plus garé une voiture depuis des heures, et pourtant, le patio enfumé, embué, endiablé était plein à craquer. Je pouvais distinguer des jambes croisées servant de pose-coude, des mains déployées tenant des cigarettes, et le brouhaha s’échapper au rythme des ouvertures de porte. J’étais installé au comptoir et je sirotais ma bière, en repensant à une vieille chanson triste.

Il y avait Ă  ce croisement beaucoup de monde
Des gens qui en attendaient d’autres
Il pleuvait des cordes
Et tout le monde portait un parapluie

Et moi, mĂŞme lorsqu’il faisait beau
Personne ne m’attendait

J’imaginais les messages que j’aurais pu écrire, les émotions que j’aurais pu ressentir, mais je n’avais pour seul compagnon que mon verre, qui se vidait sans que je n’en tire aucun plaisir. Je ne considérais pas du tout cette situation comme désespérante, mais désespérément banale. Je n’avais pas l’exclusivité de la solitude. La majorité de mes pairs étaient certes en meute, mais ils vivaient la même chose que moi.

Comme le temps passait et que le comptoir s’ennuyait de moi – il avait d’ailleurs honte de me l’avouer – je finis par chercher la beautĂ© ailleurs que dans les gestes parfaitement exĂ©cutĂ©s de la barmaid. La splendeur Ă©tait partout. Dans les barrettes aux cheveux joliment repliĂ©s. Dans les poignets pâles ornĂ©s de bracelets africains en tout genre. Dans l’immensitĂ© des fous rires et des chamailleries Ă©rotisantes. Dans les lunettes baroques et effilĂ©es portĂ©es par d’élĂ©gantes jeunes femmes coquettes. Dans les marinières et les bonnets arborĂ©s naturellement par des hommes charmants. Toutes ces belles choses s’articulaient en harmonie dans les vocalises euphoriques et fanfaronnes, dignes des canons les plus enivrants.

Je savais naguère jouer ces mazurkas, mais je m’étais construit autour de moi une ligne Maginot, que j’aurais adorĂ© que l’on contourna. Je savais que c’Ă©tait un vĹ“u pieu, Ă©videmment.

Written by Ziyad

Des textes, des poèmes et des pensées qui me traversent l'esprit...

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