La Sorbonne

Au loin, un promeneur et son chien avaient eu raison de mon hilarité macabre, et me tiraient de mes songes improductifs. Je décidais de faire une halte, et mes souvenirs de faculté avaient provoqué en moi une énième crise de nostalgite aiguë. Alors que le promeneur quittait la place de la Sorbonne en enjoignant la rue de Champollion, je me revoyais faire les reliures de dernière minute dans la petite imprimerie de la rue Cujas.

Je n’avais jamais entendu le tenancier tenir une phrase intelligible. Celui-là ne s’exprimait que par grognements, mais il était le moins cher du quartier. Les reliures bon marché étaient le point d’orgue de travaux nocturnes bâclés, au gré de nuits blanches passées à emboîter des copier-collers de copier-collers.

Alors que je songeais à tout cela, j’entendais les vociférations basses d’un vieux couple de touristes dont les vocalises germaniques me brouillaient l’esprit. Au loin, un énorme camion de blanchisseur livrait sa cargaison, et je me disais combien il y avait de gens courageux que la solitude et la nuit n’effrayaient pour rien au monde.

La serveuse du Patio n’avait pas changé, c’était la même qu’il y a 10 ans. Seul son dos s’était voûté, et ses dents s’étaient un peu arc-boutées, mais elle avait toujours la même exécution dans son sourire, et la même mélodie d’encaissement. Au sol, près de la bouche d’aération, le même SDF aux airs de Capitaine Haddock, lisait le même journal. Lui non plus n’avait pas bougé d’un iota.

Deux hommes qui semblaient être tout droits sortis d’un biopic sur la naissance de Microsoft passèrent devant ma table. Ils échangeaient quelques mots d’anglais, et revenaient surement d’une balade touristique improvisée. J’imaginais leur séjour à Paris, tout comme je m’imagine parfois perdu dans des villes étrangères. A quoi pouvais-je ressembler ? Etais-je identifiable ? Qu’était-il permis de vivre et partager en terre inconnue, sinon une marche interminable dans des rues chargées d’histoire mais dont on ne savait rien ?

Des tags avaient été inscrits un peu partout sur les dalles qui entouraient la fontaine éteinte. Nous vivions à ce moment-là un fade remake de mai 68, qui tranchait avec la tranquillité des vieux couples paisiblement attablés.

Demain, les troubles violents allaient probablement reprendre de plus belle. Mais le livreur de linge continuait inlassablement son transfert de draps, entreposĂ©s dans d’Ă©normes chariots, avant de reprendre sa route.

Written by Ziyad

Des textes, des poèmes et des pensées qui me traversent l'esprit...

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