Categories
Poetry

đŠđšđ«đšđŠđš 𝐝𝐞𝐛𝐹𝐼𝐭 : 𝐂𝐡𝐚𝐧𝐭 đ©đšđźđ« 𝐆𝐄𝐍𝐙𝟐𝟏𝟐

đŠđšđ«đšđŠđš 𝐝𝐞𝐛𝐹𝐼𝐭 : 𝐂𝐡𝐚𝐧𝐭 đ©đšđźđ« 𝐆𝐄𝐍𝐙𝟐𝟏𝟐
– FrĂšres et sƓurs de #GENZ212
je viens sans drapeau, sans tambour,
avec la respiration d’un poùme qui refuse de s’agenouiller.
Je m’assieds par terre, Ă  mĂȘme le sol, façon blad,
sur un carton de dattes et de poussiĂšre,
et je parle comme on partage un verre d’eau en Ă©tĂ© :
calmement, avec l’urgence dans la voix.
I
Le plus beau des pays, le royaume du #Maroc,
est celui qu’on porte dans les poches trouĂ©es de son jean,
avec un billet de bus froissé, un reçu de café,
un numéro griffonné à la hùte : « khoya, rappelle ».
Le plus beau des pays
est celui qu’on lave chaque matin au robinet de la patience,
pendant que le chergui s’obstine à faire craquer les lùvres.
Le plus beau des pays, c’est vous,
GENZ212, bghina l7orriya, bghina lkarama,
avec vos baskets poussiéreuses, vos téléphones en mode avion
quand les sirĂšnes tournent comme des vautours.
II
– Sidi Abdellatif Lañbi, wach katfhamna ?
– Kanfhamkom, weldi, kanfhamkom, benti.
Je vous comprends
comme je comprends le pain sans levain des jours maigres,
les files sans fin devant les portes oĂč tout le monde dit « demain ».
Je vois les lits d’hĂŽpital oĂč meurt la mĂšre qui a donnĂ© la vie,
faute de plaquettes, hchouma,
alors qu’on a sillonnĂ© les plages tout l’étĂ©,
affiches souriantes, selfies de charité,
le sable encore tiĂšde sous les tentes de la bonne conscience.
– Safi, bssa7 ?
– Bssa7. Hadi bladna, oui, et votre colùre est propre.
III
Il y a une bande de politiciens
qui s’accrochent à la nappe du banquet comme des pieuvres à la barque.
Ils piétinent la Constitution comme on écrase une orange tombée,
ils roulent la chose publique dans une couverture
et lui volent ses chaussures.
Chaque article devient une chaise tirée à reculons,
chaque alinĂ©a un rideau qu’on ferme sur nos yeux.
Pendant ce temps, vous, on vous jette,
comme des moutons, dites-vous,
au fond des fourgonnettes de la honte.
Le métal claque, la nuit avale,
et les trottoirs restent lĂ ,
à compter vos pas qu’on n’entend plus.
IV
Pourtant, vous marchez sans crier.
Vous avez dans la paume une lampe tempĂȘte.
Vous dites : « Daba »,
et le temps obéit un peu.
Vous dites : « 3lach ? »,
et la pierre se retourne.
Vous dites : « makayn mouchkil »,
et c’est votre ironie qui ouvre la serrure.
Votre mouvement pacifique a fait le tour du monde,
comme un pigeon voyageur que Lalla Zuhra al-Kush relĂąche
sur une terrasse entre deux fils Ă  linge.
Je vous entends chanter au milieu du vacarme,
au rythme de derbouka et d’alertes Telegram,
vos slogans sont des vers libres
que mĂȘme la matraque n’arrime pas.
Je vous vois fabriquer des banderoles
avec les draps des nuits blanches,
et vous écrire entre deux contrÎles :
« On ne casse rien, on nettoie l’air. »
V
– Et toi, l’ancĂȘtre, tu nous aimes tant que ça ?
– Je vous aime comme on aime un pays qui n’est pas encore fini.
Je vous aime avec l’insolence de ceux qui savent perdre la peur.
Je vous aime parce que vous aimez tout, passionnément :
la liberté comme un pain chaud,
le peuple comme un cousin qu’on n’abandonne pas,
les femmes accoucheuses qu’on n’enterrera plus
dans les registres d’erreurs techniques.
Je vous aime jusqu’à la mer.
J’ai vu la mer, moi aussi.
J’ai vu la mer se lever contre les digues du mensonge,
et chaque vague porter un prénom :
Aïcha, Dounia, Hamza, Salma, Yassine

J’ai vu la mer apprendre à respirer à ceux qui suffoquaient.
J’ai vu la mer vous donner ce regard d’aprùs-demain
qui fait trembler les poings fermĂ©s d’hier.
VI
Ils disent que vous ĂȘtes en exil,
génie en exil, premiÚre ligne punie.
L’exil, mes enfants, n’est pas une frontiùre,
c’est une cour qui rĂ©trĂ©cit dans la tĂȘte des autres.
Eux rétrécissent. Vous, vous élargissez.
Eux enferment. Vous ouvrez.
Eux comptent les minutes. Vous inventez la durée.
Ils disent que vous manquez d’école.
Sachez-le : les bancs étaient pleins de poussiÚre avant vous.
Vous avez appris sur la place publique
ce que les manuels ne savent plus dire :
qu’un pays est un engagement qu’il faut recoudre
avec des doigts sans gants.
Pas Ă  pas, pas Ă  pas,
zid, encore,
la couture invisible de la dignitĂ© (hchouma de l’avoir laissĂ©e craquer).
VII
Il faut du sang, disent les hĂŽpitaux ;
il faudra des comptes, dites-vous.
Vous ne demandez pas la lune.
Une banque de plaquettes qui ne soit pas un mirage,
un concours sans piston,
une route sans nid-de-poule dans la poitrine,
une mosquĂ©e oĂč la voix ne servira pas d’oreiller
Ă  ceux qui dorment sur la misĂšre.
Vous portez des pancartes comme on porte des enfants,
avec précaution et fierté.
Sur l’une je lis :
« On veut la loi, pas le décor » ;
sur l’autre :
« L’État n’est pas une tenture, on ne la dĂ©croche pas la nuit. »
Et plus loin :
« La Constitution de 2011 n’est pas un tapis rouge,
c’est notre seuil, t’fham ? »
VIII
On dit : les jeunes exagĂšrent.
C’est faux.
C’est le rĂ©el qui exagĂšre :
les sols miniers sans écoles dignes,
les zones industrielles sans salaires vivables,
les orphelinats de projets,
les logements oĂč l’eau baisse la tĂȘte.
Votre poùme n’ajoute rien,
il décante.
Il retire la poussiĂšre pour montrer la forme du jour
et l’ombre qui devrait rester sous les arbres, pas sur les visages.
IX
– Et la monarchie, sidi ?
– Je parle au pays entier.
Une couronne n’est pas un couvercle ;
c’est un halo de responsabilitĂ©.
Quand la confiance s’écaille,
il ne suffit pas de polir le métal ;
il faut changer la lumiùre qui l’entoure.
La loyautĂ© n’est pas un chant imposĂ©,
c’est une respiration partagĂ©e.
Quiconque gouverne doit respirer avec ceux qui marchent ;
sinon, tout s’étiole, mĂȘme l’or.
X
Je vous ai vus, entassés « dedans »,
le front appuyĂ© contre l’étain des fourgons,
dans le silence sans flĂšche ni aigle noir.
Je vous ai vus, « dehors »,
ceux qui restent, ceux qui se taisent,
la gorge serrée par une ficelle de peur.
Écoutez : le silence peut apprendre à parler.
Il suffit de lui donner une syllabe de courage,
une voyelle de rire,
un souffle qui ne fuit plus.
Dites aprùs moi, doucement d’abord,
puis plus haut :
– ka-ra-ma (dignitĂ©),
– 7orriya (libertĂ©),
– 9anoun (la loi),
– moussawat (Ă©galitĂ©).
Ce ne sont pas des bruits. Ce sont des vitamines pour le futur.
XI
Le plus beau des pays
est celui qui s’excuse et rĂ©pare.
Le plus beau des pays
est celui qui rend la clé de la nuit
Ă  celles qui accouchent sans glaive sur le ventre,
et qui, au matin, vont au souk acheter des prénoms.
Le plus beau des pays,
c’est celui oĂč un policier, un juge, un ministre
peuvent dire « smah lina »
et recommencer le chemin à vos cÎtés.
GENZ212, vous n’ĂȘtes pas la colĂšre d’un soir,
vous ĂȘtes la patience des siĂšcles qui rentrent par la fenĂȘtre.
Vous n’ĂȘtes pas l’émeute. Vous ĂȘtes l’émeute du cƓur.
Cette secousse qui ne casse pas la tasse,
mais renverse enfin le sucre au fond.
Je vous laisse ces mots comme on laisse de l’eau au seuil d’un voyage :
Marchez.
Ne cassez pas la lumiĂšre ! Agrandissez-la.
Ne laissez personne emprisonner votre futur dans son coffre.
Écrivez sur les murs, sur les lois, sur les consciences :
« On reste. On parle. On soigne. »
Et quand la mer remontera dans les rues,
que vos pas l’accompagnent sans peur,
car j’ai vu la mer,
et j’ai vu vos visages y flotter,
non comme des naufragés,
mais comme des rives qui avancent.
Salam, weldi. Salam, Benti.
Le poĂšme s’arrĂȘte ici,
pas la marche.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.