Des silhouettes des passants étaient floues. La brume envahit l’ancien parc situé au centre de la cité ancienne. Les crépuscules ajoutaient à l’atmosphère brumeuse de l’énigme et de l’imprévu. Un couple des adultes qui faisaient la promenade quotidienne sans faire attention aux caprices du temps, se serra l’un contre l’autre. Ils se sentirent menacés malgré la bravade du mari qui voulant encourager sa femme se mit à lui raconter une anecdote historique dans le style mockumentary. Il lui caressa la main, embrassa sur la joue et se lança dans la narration en la faisant asseoir sur un banc. L’endroit fut choisi avec maestria. Un saule pleureur se penchait sur le banc, cachant le couple des regards indiscrets.
– Voilà ! Je vais te raconter une histoire véridique d’un noble allemand qui sauva par son esprit, sa ruse, son courage une jeune fille qu’il aimait ardemment.
La femme sourit, regarda les yeux étincelants de son compagnon, écouta le vent siffler et soulever les branches de l’arbre qui semblait danser sur le motif de la chanson du vent.
– Mais oui, ma chère ! Imagine-toi que le mec, qui était pauvre, bien qu’il était noble mais cela n’empêche d’être pauvre, tomba amoureux d’une fille du seigneur de la principauté. Elle était belle et tout…
La femme l’interrompit :
– D’accord. Tu as dit « belle ». Entendons-nous. Quand tu dis belle, c’est quoi ? Elle était brune, blonde, rousse, avec des yeux bleus, noirs, marrons. Mince ou avec des rondeurs. C’est un bon moment d’apprendre ton idéal féminin. Je te connais depuis vingt ans, elle soupira, mais jamais je ne pourrai pas savoir tes idées dans cette matière.
– Arrête, tu as toujours des soupçons, des reproches. Bien, elle te ressemblait beaucoup : brune, yeux marrons, coupe de garçon.
– Tu te moques de moi. Tu avais dit tout à l’heure que c’était une princesse allemande. J’espère que tu connais bien l’apparence modèle de la princesse allemande : blonde, cheveux longs dans le dos ou plutôt des tresses jusqu’à la taille, yeux bleu marin très clairs, teint rose, assez corpulente et svelte en même temps. C’est ça ton idéal, que tu cachais toute notre vie de couple ?
– D’accord, fit le mari, en relevant le défi provocateur.
– Toi aussi, de ton côté tu pourrais imaginer le vaillant chevalier. Surtout ne dis pas qu’il me ressemble.
Ses dernières paroles furent couvertes par un bruit épouvantable du tourbillon qui enleva le banc avec le couple toujours protégé par le saule et le transporta dans le parc du château médiéval. Le couple transi de terreur se taisait ne sachant que faire. Ils ont entendu le bruit des sabots de plusieurs chevaux. L’homme fut assez courageux pour écarter un peu une branche et jeter un coup d’œil dehors. Une petite troupe de guerriers passait devant eux. Un gros bonhomme en habit carmin tenant une hache dans la main et la bride du cheval dans une autre était à la tête du groupe. Tous se taisaient mais la vue de ces soldats couverts de boue, avec des visages sombres sans moindre sourire, qui s’avançaient vaillamment, faisait peur. La femme se serra encore plus contre l’homme, elle n’osait rien dire. L’homme ne respirait presque pas. Les mottes de la boue soulevées par des sabots des chevaux partaient dans tous les sens et éclaboussaient les gens et tout autour. Enfin ils s’éloignèrent et la femme émit un sanglot. L’homme lui caressa ses cheveux courts en bataille après le voyage précipité. Il chuchota à l’oreille de la femme comme si quelqu’un pourrait les entendre.
– Je vais partir en éclaireur. Tu restes ici. Ne bouge pas.
La femme le regarda avec adoration oubliée depuis longtemps.
– Sois prudent, je t’en prie.
Il partit en trainant un peu les pieds. Cette aventure dangereuse ébranla l’homme. Il essayait rassurer sa femme en faisant semblant d’être très sûr de lui. Mais ce n’était que la bravade. Il suivait le sentier au milieu de la forêt comme sortie d’un conte fantastique. De vieux arbres noueux couverts de mousses et de lichens tendaient leurs branches dans une intention bien évidente d’attraper des voyageurs imprudents. L’homme cachait le visage et faisait tout pour éviter les attaques des arbres sauvages. Enfin il sortit sur une clairière et vit ce qui était tout à fait prévisible : un château médiéval, entouré des douves pleines d’eau sale. Le pont levis est tombé devant son nez. Il monta sur le pont et le passa très vite. Il se demandait tout le temps, pourquoi il se conduit comme un imbécile ? Qu’est-ce qu’il cherche ? Les gardiens pourraient le prendre et jeter dans un cachot, une oubliette si fréquente dans ce type d’habitat. Il mâchonnait ses réflexions mais rien à faire. L’homme avait l’impression d’être aspiré par le courant d’air qui le poussait sans qu’il puisse résister. Un dragon apparu devant lui fut terrible, les flammes sortaient de ses trois gueules. Il faillit brûler le pauvre homme, mais au dernier moment se ravisa, sourit gentiment et demanda :
– Cher Monsieur, il est imprudent d’approcher un habitat seigneurial sans invitation. Vous ne ressemblez pas à un bouffon, je juge d’après votre accoutrement.. Vous êtes plutôt habillé comme un citadin, avide des faveurs des femmes.
– Vous m’excuserez, cher Dragon. C’est pour la première fois que je cause comme ça en toute confiance avec un dragon. Il se peut que mes idées ne soient pas très claires. J’y suis tombé comme par enchantement.
– Vous êtes arrivé à temps. Aujourd’hui notre prince Ferdinand le Borgne fête son mariage. Sa fiancée, la plus belle fille de la principauté, Brunhilde la Grande, donna enfin son accord et le festin doit avoir lieu ce soir.
– Ah ! Si je pouvais assister à cette fête ! Ce serait vraiment un moment inoubliable ! Je pourrais raconter après à ma femme tout ce que j’ai vu !
– Votre femme ? , le dragon sembla intrigué, où est votre femme ? Est-ce que vous pouvez me présenter à votre femme ?
L’homme se figea. Il était très fâché d’avoir évoqué sa femme. Et encore il fut très surpris par la réaction du grand Dragon. Est-ce qu’il méditait quelque dessein à l’intention de lui et de sa femme. Peut-être il avait simplement faim. Il pouvait faire une bouchée de lui et de sa femme.
– Vous pensez que j’ai faim et je voudrais me régaler en avalant pour dessert de la chair tendre d’une femme ? Rassurez-vous. Je ne suis pas carnivore. Je suis végétarien et encore je préfère des herbes fines spéciales. On cultive ces herbes dans le potager du château. On m’avait engagé en tant que gardien traditionnel, parce que j’ai l’apparence qui correspond très bien à ma fonction. Mais en fait, je suis très tendre et sensible.
L’homme ne savait ce qu’il fallait penser de cette bête insolite. Jamais il n’avait pas eu l’occasion de rencontrer des dragons et naturellement il avait des doutes. Pouvait-on se fier aux dires des dragons même sympathiques? D’ailleurs, l’homme n’avait aucun choix. Qu’il soit carnivore ou herbivore, aucune différence. Le dragon est d’abord très grand et très fort. Alors il s’adressa poliment à son interlocuteur redoutable :
– Monsieur, vous préférez que je vous appelle Monsieur ou bien…, l’homme hésita
– Ah, comme vous êtes malin ! Mais bien sûr ! Je suis Monsieur Dragon Junior. Mes parents m’appelaient Drago avec l’accent sur la dernière syllabe, à la française. Moi, vous voyez, je m’ennuie énormément dans cette principauté prussienne, avec mon éducation et mes manières ! Tenir le rôle d’un gardien rustre, je suis tellement triste, tellement triste… Alors vous comprenez mon désir de rencontrer des personnes aimables.
– Mais vous avez l’avantage de côtoyer des princes, des princesses !
– Ah, mon cher, si vous voyez ces gens-là vous perdrez toutes vos illusions. Ils sont, ils sont…
Le dragon volubile n’eut pas de chance de finir sa phrase. Un groupe de chevaliers tous armés de piques, de haches et de mousquets apparurent devant le pont. Leurs chevaux piaffaient, les gens avaient l’air martial et ne ressemblaient aucunement à des invités heureux de participer au mariage du prince. Le pont n’était pas levé ; le dragon oublia de le faire, absorbé par l’entretien avec l’étranger. Quand la bête aperçut les chevaliers, elle dressa toutes ses trois têtes, sa queue commença à battre la mesure. Au fur et à mesure que les chevaliers approchaient, l’apparence du dragon changeait. En un instant il devint un monstre dont les trois gueules jetaient des flammes capables de brûler tout ce qui bougeait. L’homme épouvanté se cacha derrière le portail massif. Les chevaliers avançaient se protégeant avec des boucliers mais aucune force ne pourrait faire face à l’horrible courroux du Dragon Junior. Finalement les guerriers durent se retirer. Quand le danger passa, le Dragon se retourna pour continuer la causette, interrompu si brusquement, mais ne trouva personne, son aimable interlocuteur disparut. L’homme profita de la venue inattendue des chevaliers pour entrer dans le château. Il suivait le dédale de couloirs froids, mal éclairés et malodorants et trouva enfin une porte. Quand il entra dans la pièce, il tomba sur une fille qui pleurait comme une Madeleine, pleurait, pleurait. Les sanglots secouaient son grand corps de géante blonde. Les tresses de cheveux blonds aussi épaisses que des troncs de grands arbres pendaient jusqu’au sol. La peau très blanche parsemée de tâches de sons semblait éclairer la pièce sombre. Quand elle vit enfin le visiteur, elle avala le dernier sanglot et leva sur lui ses yeux bleu ciel d’après la pluie. Un peu délavés. Elle le dévisageait tranquillement avec intérêt comme un naturaliste qui rencontre une espèce rare de mouche. L’homme bougea et dit :
– Chère enfant, pourquoi pleurez-vous ?
– C’est évident ! s’écria- t- elle indignée, – je ne veux pas épouser ce nain de prince ! Il se nomme prince Ferdinand le Borgne ! Oh ! Si vous l’avez vu ce prince ! Il est haut comme trois pommes, il lui manque l’œil gauche et il veut m’épouser. Pourquoi faire ? Je vous demande !
– Mais il vous aime, – je ne me doute pas ! Une belle fille comme vous !, – l’homme soupira, monta les yeux au ciel, – on ne peut ne pas vous aimer, voyons !
La fille regarda l’homme avec plus d’intérêt. Elle fut surprise par tant de déférence, elle n’en avait pas habitude. Un sourire heureux apparut sur les lèvres vermeilles de la fille. Elle le fixa et dit :
– Evidemment vous êtes étranger. Ça se voit tout de suite. D’abord vos habits, disons un peu étranges et puis vous êtes si aimable et vous n’êtes pas au courant que je suis la fille la plus riche de la contrée ! Mon père sieur Archibald est un homme redoutable, un grand seigneur, un vaillant guerrier ! Et en outre il est un homme richissime et moi je suis sa seule héritière. Et encore je suis orpheline de mère. Alors…
– Pauvre enfant ! Si vous êtes si riche et belle à la fois pourquoi ne pas lancer le défi aux princes du monde entier ! Choisir parmi les plus beaux et les plus intelligents jeunes hommes de la terre ! On pourrait faire des tournois pour acquérir votre cœur et la dot avec. Vous auriez un énorme choix !
– Exact ! Ce qu’on avait déjà fait ! C’est lui, Ferdinand le Borgne qui gagna le tournoi ! Pas lui en personne, il engagea à ses frais un jeune homme, beau comme le soleil, hardi comme le lion !
La jeune fille recommença à pleurer en imaginant ce prince charmant qui ne pourrait être son mari, puisque ‘il était à la solde de Ferdinand le Borgne.
– Vous voyez ma chère enfant, heu… comment vous appelez vous ?
– Brunhilde, le prénom tout à fait banal.
– Vous trouvez ? Je m’en doute un peu mais laissons. Je voudrais vous félicitez, parce que vous avez déjà à moitié résolu le problème.
– C’est comment ? la fille leva les yeux vers l’homme le scrutant d’un air méfiant.
– Mais voyons ! s’exclama-t-il – Vous connaissez déjà la personne que vous voudriez épouser ! n’est-ce pas ?
– Mais si, naturellement. Mais lui n’en sais rien et puis il est le sujet de Ferdinand le Borgne.
– C’est très bien ! il est beaucoup plus facile de le retrouver, puisqu’il est confident de son seigneur.
– Mais oui, il doit assister aux noces cette nuit. Après avoir fait cet aveu, Brunhilde recommença à pleurer de plus belle.
Quelqu’un frappa à la porte, les interlocuteurs se turent ne sachant que faire. Brunhilde se ressaisit la première. Elle lui montra un paravent qui divisait sa chambre en deux. L’homme se cacha derrière le paravent et se blottit sous un couvre –lit en velours. Il entendit la voix nasillarde d’une femme, qui était évidemment une servante. L’homme ne pouvait distinguer ce qu’elles se dirent mais il entendit la porte claquer et osa sortir de son abri. Brunhilde était très occupée. Elle examinait minutieusement une belle robe pourpre, richement décorée posée sur son lit. Elle touchait le tissu, le caressait de ses mains délicates. Enfin elle souleva la robe et s’approcha d’un grand miroir métallique qui se dressait dans le coin. Elle fut très satisfaite en approchant la robe de son visage qui fut éclairé comme par miracle. Brunhilde était splendide dans cette robe. L’homme fut étonné en voyant comment cette femme qui était tout à l’heure très souffrante, rayonnait actuellement.
– Vous êtes de bonne humeur, mon enfant ! Votre visage ressemble au soleil après la pluie, éclatant, avec ce reflet vermeil si beau.
– Ah, cher monsieur, j’ai oublié pour un moment mon sort terrible. Cette robe si belle m’avait distraite de mes tristesses.
– Est-ce que vous êtes toujours résolue à ne pas vous soumettre à la volonté de votre honorable père, sieur Archibald ?
– Mais oui, pourquoi me poser cette question ? Voulez-vous me proposer un acte malhonnête ? Vous ne connaissez pas Brunhilde. Elle est toujours fière et honnête !
La fille commença à parler d’elle à la troisième personne. C’était un mauvais signe, l’homme le savait bien.
– Mais non ! Voyons ! A une fille aussi honorable est-ce que je pourrais proposer autre chose qu’une solution digne de la princesse prussienne !
Brunhilde sourit et redevint une fille aimable, prête à écouter le conseil précieux d’un homme adulte.
– Ecouter ma chère enfant. Le jeune homme digne de votre amour devrait être présent à vos noces, n’est-pas ?
– Si. Mais cela ne change rien. Il n’ose même pas lever les yeux vers moi. Il est tellement timide ! Il se battait comme un lion, c’est vrai. Mais de là à me regarder en face ou bien oser une parole…. Jamais !
– On pourrait le provoquer. Par exemple, vous mettre en danger, – l’homme resta songeur un moment
La fille écarquilla les yeux, engloutit. Hésita entre l’indignation et la curiosité, finalement la curiosité l’emporta.
– Si mon père vous entendait ! Vous risqueriez votre tête !
– Ah bon !
L’homme oublia complètement le cadre médiéval des évènements. Le dragon lui-même avait l’air d’un personnage des bandes dessinés et cette fille ressemblait beaucoup à celle évoquée par sa femme comme modèle de la princesse prussienne. Néanmoins ce n’était pas de la fiction, c’était la réalité ! « On dit souvent qu’il faut faire la différence entre la réalité et les racontars des écrivailleurs. Hélas, quelquefois c’est tellement véridique qu’on commence à se poser des questions ! » Cette aventure devenait de plus en plus dangereuse et il fallait, coûte que coûte, trouver une issue.
Brunhilde fixait l’homme comme si elle voulait pénétrer ces pensées secrètes. Soudain comme saisie d’une volonté suprême elle s’écria :
– Je suis d’accord ! Je connais même le moyen de parvenir à mes fins et de vous sauver la vie.
Brunhilde avait une intelligence et courage. Les propos de l’homme l’enflammèrent. Elle eut le plan d’action tout prêt. Comment une fille élevée dans les conditions les plus sévères, pourrait avoir des idées aussi extravagantes ? C’était une énigme, pourtant pas très compliquée. Entourée toujours par des femmes qui la servaient et surveillaient en même temps, la jeune fille élabora un code de conduite qui pourrait servir d’exemple à des filles aspirant à la liberté. Elle savait employer mille ruses pour arriver à ses fins. Ces servantes n’étaient pas dupes de ses malices, mais elles se laissaient faire, admirant en cachette cette volonté de femme, qui leur était interdite. Brunhilde n’hésitait plus. Elle était prête à saisir l’occasion.
– Vous devez vous fiez à moi. Je vous demande seulement une chose : emmenez le dragon vers le minuit dans la salle de festin. Je sais déjà par mes espions que vous êtes presque amis. Je vous en félicite. Parce que ce dragon est d’un caractère exécrable ! Vous ne le connaissez pas bien. Tant mieux. Venez à minuit pile, ni plus tôt ni plus tard ! C’est très important. Et encore … Soyez prudent et ne vous étonnez pas quoi que vous entendiez et vous voyiez ! Et maintenant partez ! Cachez- vous ! Il y a à côté de ma chambre une oubliette, mais je vous déconseille d’y pénétrer. On ne pourra pas vous en sortir. Par contre, une de mes servantes vous conduira dans un lieu sûr. N’ayez pas peur. Elle est ma confidente.
L’homme resta muet un moment. Il ne s’attendait pas à tant de malice et de présence d’esprit. Franchement, il ne savait que dire. Enfin il arriva à prononcer quelques paroles.
– Oui, pourquoi pas ? Je suis prêt à vous servir, ma belle princesse !
Brunhilde sourit, éblouie par tant délicatesse. Elle sortit et revint presque tout de suite accompagnée d’une femme sympathique d’un certain âge. Brunhilde avait une confiance totale en cette femme qui la servait depuis sa naissance. Elle lui était très dévouée. Après de courtes conciliabules le plan était prêt. La chance devrait être de leur côté, pour une simple raison : « Ce que femme veut Dieu le veut. »
L’homme suivit Anna, la confidente de Brunhilde qui le conduisit dans un débarras pour des anciens meubles.
Le temps s’écoula vite. Brunhilde, aidée par sa confidente mit sa robe merveilleuse qui révélait sa beauté. Elle était splendide ! Quand elle entra dans la salle entourée de ses dames, tous les hommes présents n’eurent yeux que pour elle. Son futur époux Ferdinand le Borgne s’approcha d’elle. Il était de petite taille et n’arrivait qu’à l’épaule de la belle Brunhilde. Il la prit par la main et conduit vers deux sièges mis sur une élévation. La salle était ornée des blasons de deux familles nobles. La suite de prince excellait en chevaliers de différents âges et condition. Un jeune homme très beau, bien fait avec un air mélancolique se tenait à côté du prince et regardait ailleurs. Un observateur étranger pourrait le repérer sans aucune difficulté comme la personne la plus douée et intelligente de cette assemblée. C’était ce célèbre chevalier Gaston le Vaillant qui avait remporté le tournoi pour son seigneur Ferdinand le Borgne. Le festin commença. Les plats les plus exquis arrivèrent, le vin coula à flots. Le père de Brunhilde, sieur Archibald fut content, il se crut assez malin d’unir les deux les plus nobles familles de la contrée. Brunhilde semblait tranquille, apaisée, une fille docile, soumise à la volonté de son père. La fête battait son plein, les voix s’élevèrent, les yeux brillèrent. Arrivèrent des musiciens qui ajoutèrent au vacarme qui envahit la salle. D’un coup comme par un enchantement on entendit sonner l’horloge sur la tour du château. Douze coups retentirent. Brunhilde se leva de son siège s’approcha d’Anna et fit signe pour inviter ses dames à la danse. Un rond se forma autour de la fiancée. La musique devint lente et mélodieuse. A ce moment les deux battants de la grande porte de la salle s’ouvrirent avec fracas et le grand Dragon Junior fit son entrée solennelle dans la salle. L’homme était assis sur le dragon entre les protrusions de son cou. L’assistance sembla frappée d’un coup fatal. Tout le monde se posait une question : qui était ce personnage qui eut du toupet d’enfourcher le Dragon ? Et quelles étaient ses intentions ? Le dénouement vint vite. Le Dragon cria d’une voix tonitruante :
– Restez sur vos places ! Ne bougez pas ! Si quelqu’un bouge je vais le réduire en cendre ! Ecoutez moi ! Brunhilde, Gaston le Vaillant doivent s’approcher de moi ! Les autres prennent leurs places.
Tous les invités se tournèrent vers la belle fiancée et Gaston le Vaillant, dont la main se serra sur la poignée de son sabre. Brunhilde s’adressa d’une voix claire à tous les invités :
– Je suis prête à me sacrifier ! Je craignais toujours ce terrible Dragon mais ni mon père ni autres nobles seigneurs ne me croyaient pas !
Elle s’avança dans la direction du dragon, Gaston la suivit prestement. Ferdinand le Borgne ne bougeait pas ainsi que tous les autres. L’homme sur le dragon ne prononça pas un seul mot. Il fit place au couple qui s’assit derrière l’homme. Jamais on ne pourrait imaginer qu’il soit possible d’utiliser l’horrible dragon en tant qu’un moyen de transport. Et pourtant…Le Dragon prit goût à ce jeu assez dangereux. Il fixa l’assistance d’un œil étincelant et ajouta presque amicalement :
– Soyez sages, mes grands ! Je vous promets de rester loyal à votre égard.
Drago Junior ouvrit la gueule pour que l’assistance puisse admirer ses dents pointues longues et aiguisées comme des dagues. La belle Brunhilde presque évanouie se pencha vers le chevalier et lui chuchota quelques mots. Drago ne perdit pas de temps et s’empressa vers la sortie. L’assistance fut si terrifiée, que personne ne bougea. Ferdinand le Borgne perdit tout son aplomb et sanglotait comme un petit enfant. Le premier qui fit preuve de présence d’esprit fut le père de Brunhilde, sieur Archibald, il s’écria d’une voix de tonnerre :
– Ceux parmi vous, qui n’ont pas oublié qu’ils sont de vrais hommes, suivez-moi !
A ce moment décisif un évènement extraordinaire se produisit. D’un coup on entendit un bruit sourd dont l’étendue et la force grandissait d’un moment à l’autre. D’abord tout le monde pensa que le Dragon Junior revient pour exécuter ses terribles menaces mais après une certaine confusion on sentit les secousses, et le sol sous leurs pieds commença à danser. Un seul cri sortit des bouches des gens malheureux réunis dans la salle de festin : « Tremblement de terre ! C’est le courroux de Dieu ! ». La panique emporta la foule ainsi qu’un torrent violent détruisant tous les entraves. Les hommes et les femmes effarés se précipitèrent dans la cour du château. Le pont -levis s’écroula sous la masse des chevaliers fuyants le danger. Ferdinand le Borgne était le premier dans l’eau de douves avec son cheval. Il criait si fort que son cheval essaya de se débarrasser du chevalier encombrant. Le cheval parvint à le faire et l’homme qui était si chanceux il y a une heure devint l’un des plus misérables. Il s’accrocha à la queue du cheval de son écuyer et la tenait de toutes ses forces, comprenant que sa vie dépend de sa poigne. Le destin faisait son tri. Il y avait ceux qui réussirent à sortir de cette apocalypse, il y avait d’autres engloutis par les éléments. Ferdinand le Borgne se sauva comme par miracle. Le tremblement de terre s’arrêta comme par enchantement. Le Dragon Junior transportant trois protagonistes- Brunhilde, Gaston le Vaillant et notre homme courageux atterrit juste sous le saule pleureur. Pour Drago, Brunhilde et Gaston c’était une escale. Ils voudraient continuer leur voyage. Pour l’homme c’était différent. Sa femme qui en attendant son homme s’endormit, se réveilla. Elle s’étonna, ce qui fut tout à fait naturel ! On ne rencontre bien souvent le vrai Dragon en compagnie de la princesse prussienne et son fiancé ! Ils bavardèrent, donnèrent des promesses de se voir de temps en temps, et se séparèrent comme de vrai amis. Drago, Brunhilde et Gaston s’envolèrent vers la France. Tous les trois avaient cette envie ardente de voyager à travers ce beau pays où vivent les gens courtois et joyeux.
La femme se tourna vers l’homme, le fixa et dit d’une voix tendre
– Jamais je ne pourrais imaginer que tu sois capable se lier d’amitié avec le Dragon, princesse prussienne et Chevalier vaillant ! Jamais !
– Oh, ma chérie ! Tu oublies une chose : nous avons vécu ensemble vingt ans ! Vingt ans !
– Tu veux dire que notre vie en couple t’avais appris à communiquer avec tout ce monde ?
– Je ne dis pas avec tout le monde, mais avec Drago et princesse, c’est sûr !
La femme sourit
– Tu dois me remercier, mon cher. Sinon tu serais perdu dans une des oubliettes de ce château médiéval.
Le couple se regarda et s’embrassa avec passion tout comme Brunhilde et son jeune Chevalier vaillant.
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