Le saule pleureur

Des silhouettes des passants Ă©taient floues. La brume envahit l’ancien parc situĂ© au centre de la citĂ© ancienne. Les crĂ©puscules ajoutaient Ă  l’atmosphĂšre brumeuse de l’énigme et de l’imprĂ©vu. Un couple des adultes qui faisaient la promenade quotidienne sans faire attention aux caprices du temps, se serra l’un contre l’autre. Ils se sentirent menacĂ©s malgrĂ© la bravade du mari qui voulant encourager sa femme se mit Ă  lui raconter une anecdote historique dans le style mockumentary. Il lui caressa la main, embrassa sur la joue et se lança dans la narration en la faisant asseoir sur un banc. L’endroit fut choisi avec maestria. Un saule pleureur se penchait sur le banc, cachant le couple des regards indiscrets.

–   VoilĂ  ! Je vais te raconter une histoire vĂ©ridique d’un noble allemand qui sauva par son esprit, sa ruse, son courage une jeune fille qu’il aimait ardemment.

La femme sourit, regarda les yeux Ă©tincelants de son compagnon, Ă©couta le vent siffler et soulever les branches de l’arbre qui semblait danser sur le motif de la chanson du vent.

–   Mais oui, ma chĂšre ! Imagine-toi que le mec, qui Ă©tait pauvre, bien qu’il Ă©tait noble mais cela n’empĂȘche d’ĂȘtre pauvre, tomba amoureux d’une fille du seigneur de la principautĂ©. Elle Ă©tait belle et tout


La femme l’interrompit :

–   D’accord. Tu as dit « belle ». Entendons-nous. Quand tu dis belle, c’est quoi ? Elle Ă©tait brune, blonde, rousse, avec des yeux bleus, noirs, marrons. Mince ou avec des rondeurs. C’est un bon moment d’apprendre ton idĂ©al fĂ©minin.  Je te connais depuis vingt ans, elle soupira, mais jamais je ne pourrai pas savoir tes idĂ©es dans cette matiĂšre.

–   ArrĂȘte, tu as toujours des soupçons, des reproches. Bien, elle te ressemblait beaucoup : brune, yeux marrons, coupe de garçon.

–   Tu te moques de moi. Tu avais dit tout Ă  l’heure que c’était une princesse allemande. J’espĂšre que tu connais bien l’apparence modĂšle de la princesse allemande : blonde, cheveux longs dans le dos ou plutĂŽt des tresses jusqu’à la taille, yeux bleu marin trĂšs clairs, teint rose, assez corpulente et svelte en mĂȘme temps. C’est ça ton idĂ©al, que tu cachais toute notre vie de couple ?

–   D’accord, fit le mari, en relevant le dĂ©fi provocateur.

–   Toi aussi, de ton cĂŽtĂ© tu pourrais imaginer le vaillant chevalier. Surtout ne dis pas qu’il me ressemble.

Ses derniĂšres paroles furent couvertes par un bruit Ă©pouvantable du tourbillon qui enleva le banc avec le couple toujours protĂ©gĂ© par le saule et le transporta dans le parc du chĂąteau mĂ©diĂ©val. Le couple transi de terreur se taisait ne sachant que faire. Ils ont entendu le bruit des sabots de plusieurs chevaux. L’homme fut assez courageux pour Ă©carter un peu une branche et jeter un coup d’Ɠil dehors.  Une petite troupe de guerriers passait devant eux. Un gros bonhomme en habit carmin tenant une hache dans la main et la bride du cheval dans une autre Ă©tait Ă  la tĂȘte du groupe. Tous se taisaient mais la vue de ces soldats couverts de boue, avec des visages sombres sans moindre sourire, qui s’avançaient vaillamment, faisait peur. La femme se serra encore plus contre l’homme, elle n’osait rien dire. L’homme ne respirait presque pas. Les mottes de la boue soulevĂ©es par des sabots des chevaux partaient dans tous les sens et Ă©claboussaient les gens et tout autour. Enfin ils s’éloignĂšrent et la femme Ă©mit un sanglot. L’homme lui caressa ses cheveux courts en bataille aprĂšs le voyage prĂ©cipitĂ©. Il chuchota Ă  l’oreille de la femme comme si quelqu’un pourrait les entendre.

–   Je vais partir en Ă©claireur. Tu restes ici. Ne bouge pas.

La femme le regarda avec adoration oubliée depuis longtemps.

–   Sois prudent, je t’en prie.

Il partit en trainant un peu les pieds. Cette aventure dangereuse Ă©branla l’homme. Il essayait rassurer sa femme en faisant semblant d’ĂȘtre trĂšs sĂ»r de lui. Mais ce n’était que la bravade. Il suivait le sentier au milieu de la forĂȘt comme sortie d’un conte fantastique. De vieux arbres noueux couverts de mousses et de lichens tendaient leurs branches dans une intention bien Ă©vidente d’attraper des voyageurs imprudents. L’homme cachait le visage et faisait tout pour Ă©viter les attaques des arbres sauvages. Enfin il sortit sur une clairiĂšre et vit ce qui Ă©tait tout Ă  fait prĂ©visible : un chĂąteau mĂ©diĂ©val, entourĂ© des douves pleines d’eau sale. Le pont levis est tombĂ© devant son nez. Il monta sur le pont et le passa trĂšs vite. Il se demandait tout le temps, pourquoi il se conduit comme un imbĂ©cile ? Qu’est-ce qu’il cherche ?  Les gardiens pourraient le prendre et jeter dans un cachot, une oubliette si frĂ©quente dans ce type d’habitat. Il mĂąchonnait ses rĂ©flexions mais rien Ă  faire. L’homme avait l’impression d’ĂȘtre aspirĂ© par le courant d’air qui le poussait sans qu’il puisse rĂ©sister. Un dragon apparu devant lui fut terrible, les flammes sortaient de ses trois gueules. Il faillit brĂ»ler le pauvre homme, mais au dernier moment se ravisa, sourit gentiment et demanda :

–   Cher Monsieur, il est imprudent d’approcher un habitat seigneurial sans invitation. Vous ne ressemblez pas Ă  un bouffon, je juge d’aprĂšs votre accoutrement.. Vous ĂȘtes plutĂŽt habillĂ© comme un citadin, avide des faveurs des femmes.

–   Vous m’excuserez, cher Dragon. C’est pour la premiĂšre fois que je cause comme ça en toute confiance avec un dragon. Il se peut que mes idĂ©es ne soient pas trĂšs claires.  J’y suis tombĂ© comme par enchantement.

–    Vous ĂȘtes arrivĂ© Ă  temps. Aujourd’hui notre prince Ferdinand le Borgne fĂȘte son mariage. Sa fiancĂ©e, la plus belle fille de la principautĂ©, Brunhilde la Grande, donna enfin son accord et le festin doit avoir lieu ce soir.

–   Ah ! Si je pouvais assister Ă  cette fĂȘte ! Ce serait vraiment un moment inoubliable ! Je pourrais raconter aprĂšs Ă  ma femme tout ce que j’ai vu !

–   Votre femme ? , le dragon sembla intriguĂ©, oĂč est votre femme ? Est-ce que vous pouvez me prĂ©senter Ă  votre femme ?

L’homme se figea. Il Ă©tait trĂšs fĂąchĂ© d’avoir Ă©voquĂ© sa femme. Et encore il fut trĂšs surpris par la rĂ©action du grand Dragon. Est-ce qu’il mĂ©ditait quelque dessein Ă  l’intention de lui et de sa femme. Peut-ĂȘtre il avait simplement faim. Il pouvait faire une bouchĂ©e de lui et de sa femme.

–   Vous pensez que j’ai faim et je voudrais me rĂ©galer en avalant pour dessert de la chair tendre d’une femme ? Rassurez-vous. Je ne suis pas carnivore.  Je suis vĂ©gĂ©tarien et encore je prĂ©fĂšre des herbes fines spĂ©ciales. On cultive ces herbes dans le potager du chĂąteau. On m’avait engagĂ© en tant que gardien traditionnel, parce que j’ai l’apparence qui correspond trĂšs bien Ă  ma fonction. Mais en fait, je suis trĂšs tendre et sensible.

L’homme ne savait ce qu’il fallait penser de cette bĂȘte insolite. Jamais il n’avait pas eu l’occasion de rencontrer des dragons et naturellement il avait des doutes. Pouvait-on se fier aux dires des dragons mĂȘme sympathiques? D’ailleurs, l’homme n’avait aucun choix. Qu’il soit carnivore ou herbivore, aucune diffĂ©rence. Le dragon est d’abord trĂšs grand et trĂšs fort. Alors il s’adressa poliment Ă  son interlocuteur redoutable :

–   Monsieur, vous prĂ©fĂ©rez que je vous appelle Monsieur ou bien
, l’homme hĂ©sita

–   Ah, comme vous ĂȘtes malin ! Mais bien sĂ»r ! Je suis Monsieur Dragon Junior. Mes parents m’appelaient Drago avec l’accent sur la derniĂšre syllabe, Ă  la française. Moi, vous voyez, je m’ennuie Ă©normĂ©ment dans cette principautĂ© prussienne, avec mon Ă©ducation et mes maniĂšres ! Tenir le rĂŽle d’un gardien rustre, je suis tellement triste, tellement triste
 Alors vous comprenez mon dĂ©sir de rencontrer des personnes aimables.

–   Mais vous avez l’avantage de cĂŽtoyer des princes, des princesses !

–   Ah, mon cher, si vous voyez ces gens-lĂ  vous perdrez toutes vos illusions. Ils sont, ils sont


Le dragon volubile n’eut pas de chance de finir sa phrase. Un groupe de chevaliers tous armĂ©s de piques, de haches et de mousquets apparurent devant le pont. Leurs chevaux piaffaient, les gens avaient l’air martial et ne ressemblaient aucunement Ă  des invitĂ©s heureux de participer au mariage du prince. Le pont n’était pas levĂ© ; le dragon oublia de le faire, absorbĂ© par l’entretien avec l’étranger. Quand la bĂȘte aperçut les chevaliers, elle dressa toutes ses trois tĂȘtes, sa queue commença Ă  battre la mesure. Au fur et Ă  mesure que les chevaliers approchaient, l’apparence du dragon changeait. En un instant il devint un monstre dont les trois gueules jetaient des flammes capables de brĂ»ler tout ce qui bougeait. L’homme Ă©pouvantĂ© se cacha derriĂšre le portail massif. Les chevaliers avançaient se protĂ©geant avec des boucliers mais aucune force ne pourrait faire face Ă  l’horrible courroux du Dragon Junior. Finalement les guerriers durent se retirer. Quand le danger passa, le Dragon se retourna pour continuer la causette, interrompu si brusquement, mais ne trouva personne, son aimable interlocuteur disparut. L’homme profita de la venue inattendue des chevaliers pour entrer dans le chĂąteau. Il suivait le dĂ©dale de couloirs froids, mal Ă©clairĂ©s et malodorants et trouva enfin une porte. Quand il entra dans la piĂšce, il tomba sur une fille qui pleurait comme une Madeleine, pleurait, pleurait. Les sanglots secouaient son grand corps de gĂ©ante blonde. Les tresses de cheveux blonds aussi Ă©paisses que des troncs de grands arbres pendaient jusqu’au sol. La peau trĂšs blanche parsemĂ©e de tĂąches de sons semblait Ă©clairer la piĂšce sombre.  Quand elle vit enfin le visiteur, elle avala le dernier sanglot et leva sur lui ses yeux bleu ciel d’aprĂšs la pluie. Un peu dĂ©lavĂ©s. Elle le dĂ©visageait tranquillement avec intĂ©rĂȘt comme un naturaliste qui rencontre une espĂšce rare de mouche. L’homme bougea et dit :

–   ChĂšre enfant, pourquoi pleurez-vous ?

–   C’est Ă©vident ! s’écria- t- elle indignĂ©e, – je ne veux pas Ă©pouser ce nain de prince ! Il se nomme prince Ferdinand le Borgne ! Oh ! Si vous l’avez vu ce prince ! Il est haut comme trois pommes, il lui manque l’Ɠil gauche et il veut m’épouser. Pourquoi faire ? Je vous demande !

–   Mais il vous aime, – je ne me doute pas ! Une belle fille comme vous !, – l’homme soupira, monta les yeux au ciel, – on ne peut ne pas vous aimer, voyons !

La fille regarda l’homme avec plus d’intĂ©rĂȘt. Elle fut surprise par tant de dĂ©fĂ©rence, elle n’en avait pas habitude. Un sourire heureux apparut sur les lĂšvres vermeilles de la fille. Elle le fixa et dit :

–   Evidemment vous ĂȘtes Ă©tranger. Ça se voit tout de suite. D’abord vos habits, disons un peu Ă©tranges et puis vous ĂȘtes si aimable et vous n’ĂȘtes pas au courant que je suis la fille la plus riche de la contrĂ©e ! Mon pĂšre sieur Archibald est un homme redoutable, un grand seigneur, un vaillant guerrier ! Et en outre il est un homme richissime et moi je suis sa seule hĂ©ritiĂšre. Et encore je suis orpheline de mĂšre. Alors


–   Pauvre enfant !   Si vous ĂȘtes si riche et belle Ă  la fois pourquoi ne pas lancer le dĂ©fi aux princes du monde entier ! Choisir parmi les plus beaux et les plus intelligents jeunes hommes de la terre ! On pourrait faire des tournois pour acquĂ©rir votre cƓur et la dot avec. Vous auriez un Ă©norme choix !

–   Exact ! Ce qu’on avait dĂ©jĂ  fait ! C’est lui, Ferdinand le Borgne qui gagna le tournoi ! Pas lui en personne, il engagea Ă  ses frais un jeune homme, beau comme le soleil, hardi comme le lion !

La jeune fille recommença Ă  pleurer en imaginant ce prince charmant qui ne pourrait ĂȘtre son mari, puisque ‘il Ă©tait Ă  la solde de Ferdinand le Borgne.

–   Vous voyez ma chĂšre enfant, heu
 comment vous appelez vous ?

–   Brunhilde, le prĂ©nom tout Ă  fait banal.

–   Vous trouvez ? Je m’en doute un peu mais laissons. Je voudrais vous fĂ©licitez, parce que vous avez dĂ©jĂ  Ă  moitiĂ© rĂ©solu le problĂšme.

–   C’est comment ? la fille leva les yeux vers l’homme le scrutant d’un air mĂ©fiant.

–   Mais voyons ! s’exclama-t-il – Vous connaissez dĂ©jĂ  la personne que vous voudriez Ă©pouser ! n’est-ce pas ?

–   Mais si, naturellement. Mais lui n’en sais rien et puis il est le sujet de Ferdinand le Borgne.

–   C’est trĂšs bien ! il est beaucoup plus facile de le retrouver, puisqu’il est confident de son seigneur.

–   Mais oui, il doit assister aux noces cette nuit. AprĂšs avoir fait cet aveu, Brunhilde recommença Ă  pleurer de plus belle.

Quelqu’un frappa Ă  la porte, les interlocuteurs se turent ne sachant que faire. Brunhilde se ressaisit la premiĂšre. Elle lui montra un paravent qui divisait sa chambre en deux. L’homme se cacha derriĂšre le paravent et se blottit sous un couvre –lit en velours. Il entendit la voix nasillarde d’une femme, qui Ă©tait Ă©videmment une servante. L’homme ne pouvait distinguer ce qu’elles se dirent mais il entendit la porte claquer et osa sortir de son abri. Brunhilde Ă©tait trĂšs occupĂ©e. Elle examinait minutieusement une belle robe pourpre, richement dĂ©corĂ©e posĂ©e sur son lit.  Elle touchait le tissu, le caressait de ses mains dĂ©licates. Enfin elle souleva la robe et s’approcha d’un grand miroir mĂ©tallique qui se dressait dans le coin. Elle fut trĂšs satisfaite en approchant la robe de son visage qui fut Ă©clairĂ© comme par miracle. Brunhilde Ă©tait splendide dans cette robe. L’homme fut Ă©tonnĂ© en voyant comment cette femme qui Ă©tait tout Ă  l’heure trĂšs souffrante, rayonnait actuellement.

–   Vous ĂȘtes de bonne humeur, mon enfant ! Votre visage ressemble au soleil aprĂšs la pluie, Ă©clatant, avec ce reflet vermeil si beau.

–   Ah, cher monsieur, j’ai oubliĂ© pour un moment mon sort terrible. Cette robe si belle m’avait distraite de mes tristesses.

–   Est-ce que vous ĂȘtes toujours rĂ©solue Ă  ne pas vous soumettre Ă  la volontĂ© de votre honorable pĂšre, sieur Archibald ?

–   Mais oui, pourquoi me poser cette question ? Voulez-vous me proposer un acte malhonnĂȘte ? Vous ne connaissez pas Brunhilde. Elle est toujours fiĂšre et honnĂȘte !

La fille commença Ă  parler d’elle Ă  la troisiĂšme personne. C’était un mauvais signe, l’homme le savait bien.

–   Mais non ! Voyons ! A une fille aussi honorable est-ce que je pourrais proposer autre chose qu’une solution digne de la princesse prussienne !

Brunhilde sourit et redevint une fille aimable, prĂȘte Ă  Ă©couter le conseil prĂ©cieux d’un homme adulte.

–   Ecouter ma chĂšre enfant. Le jeune homme digne de votre amour devrait ĂȘtre prĂ©sent Ă  vos noces, n’est-pas ?

–   Si. Mais cela ne change rien. Il n’ose mĂȘme pas lever les yeux vers moi. Il est tellement timide ! Il se battait comme un lion, c’est vrai. Mais de lĂ  Ă  me regarder en face ou bien oser une parole
. Jamais !

–   On pourrait le provoquer. Par exemple, vous mettre en danger, – l’homme resta songeur un moment

La fille Ă©carquilla les yeux, engloutit. HĂ©sita entre l’indignation et la curiositĂ©, finalement la curiositĂ© l’emporta.

–   Si mon pĂšre vous entendait ! Vous risqueriez votre tĂȘte !

–   Ah bon !

L’homme oublia complĂštement le cadre mĂ©diĂ©val des Ă©vĂšnements. Le dragon lui-mĂȘme avait l’air d’un personnage des bandes dessinĂ©s et cette fille ressemblait beaucoup Ă  celle Ă©voquĂ©e par sa femme comme modĂšle de la princesse prussienne. NĂ©anmoins ce n’était pas de la fiction, c’était la rĂ©alitĂ© ! « On dit souvent qu’il faut faire la diffĂ©rence entre la rĂ©alitĂ© et les racontars des Ă©crivailleurs. HĂ©las, quelquefois c’est tellement vĂ©ridique qu’on commence Ă  se poser des questions ! » Cette aventure devenait de plus en plus dangereuse et il fallait, coĂ»te que coĂ»te, trouver une issue.

Brunhilde fixait l’homme comme si elle voulait pĂ©nĂ©trer ces pensĂ©es secrĂštes. Soudain comme saisie d’une volontĂ© suprĂȘme elle s’écria :

–   Je suis d’accord ! Je connais mĂȘme le moyen de parvenir Ă  mes fins et de vous sauver la vie.

Brunhilde avait une intelligence et courage. Les propos de l’homme l’enflammĂšrent. Elle eut le plan d’action tout prĂȘt. Comment une fille Ă©levĂ©e dans les conditions les plus sĂ©vĂšres, pourrait avoir des idĂ©es aussi extravagantes ? C’était une Ă©nigme, pourtant pas trĂšs compliquĂ©e. EntourĂ©e toujours par des femmes qui la servaient et surveillaient en mĂȘme temps, la jeune fille Ă©labora un code de conduite qui pourrait servir d’exemple Ă  des filles aspirant Ă  la libertĂ©. Elle savait employer mille ruses pour arriver Ă  ses fins. Ces servantes n’étaient pas dupes de ses malices, mais elles se laissaient faire, admirant en cachette cette volontĂ© de femme, qui leur Ă©tait interdite. Brunhilde n’hĂ©sitait plus. Elle Ă©tait prĂȘte Ă  saisir l’occasion.

–   Vous devez vous fiez Ă  moi. Je vous demande seulement une chose : emmenez le dragon vers le minuit dans la salle de festin. Je sais dĂ©jĂ  par mes espions que vous ĂȘtes presque amis. Je vous en fĂ©licite. Parce que ce dragon est d’un caractĂšre exĂ©crable ! Vous ne le connaissez pas bien. Tant mieux. Venez Ă  minuit pile, ni plus tĂŽt ni plus tard ! C’est trĂšs important. Et encore 
 Soyez prudent et ne vous Ă©tonnez pas quoi que vous entendiez et vous voyiez ! Et maintenant partez ! Cachez- vous !  Il y a Ă  cĂŽtĂ© de ma chambre une oubliette, mais je vous dĂ©conseille d’y pĂ©nĂ©trer. On ne pourra pas vous en sortir. Par contre, une de mes servantes vous conduira dans un lieu  sĂ»r. N’ayez pas peur. Elle est ma confidente.

L’homme resta muet un moment. Il ne s’attendait pas Ă  tant de malice et de prĂ©sence d’esprit. Franchement, il ne savait que dire. Enfin il arriva Ă  prononcer quelques paroles.

–   Oui, pourquoi pas ? Je suis prĂȘt Ă  vous servir, ma belle princesse !

Brunhilde sourit, Ă©blouie par tant dĂ©licatesse. Elle sortit et revint presque tout de suite accompagnĂ©e d’une femme sympathique d’un certain Ăąge.  Brunhilde avait une confiance totale en cette femme qui la servait depuis sa naissance. Elle lui Ă©tait trĂšs dĂ©vouĂ©e. AprĂšs de courtes conciliabules le plan Ă©tait prĂȘt. La chance devrait ĂȘtre de leur cĂŽtĂ©, pour une simple raison : « Ce que femme veut Dieu le veut. »

L’homme suivit Anna, la confidente de Brunhilde qui le conduisit dans un dĂ©barras pour des anciens meubles.

Le temps s’écoula vite. Brunhilde, aidĂ©e par sa confidente mit sa robe merveilleuse qui rĂ©vĂ©lait sa beautĂ©. Elle Ă©tait splendide ! Quand elle entra dans la salle entourĂ©e de ses dames, tous les hommes prĂ©sents n’eurent yeux que pour elle. Son futur Ă©poux Ferdinand le Borgne s’approcha d’elle. Il Ă©tait de petite taille et n’arrivait qu’à l’épaule de la belle Brunhilde. Il la prit par la main et conduit vers deux siĂšges mis sur une Ă©lĂ©vation. La salle Ă©tait ornĂ©e des blasons de deux familles nobles. La suite de prince excellait en chevaliers de diffĂ©rents Ăąges et condition. Un jeune homme trĂšs beau, bien fait avec un air mĂ©lancolique se tenait Ă  cĂŽtĂ© du prince et regardait ailleurs. Un observateur Ă©tranger pourrait le repĂ©rer sans aucune difficultĂ© comme la personne la plus douĂ©e et intelligente de cette assemblĂ©e. C’était ce cĂ©lĂšbre chevalier Gaston le Vaillant qui avait remportĂ© le tournoi pour son seigneur Ferdinand le Borgne. Le festin commença. Les plats les plus exquis arrivĂšrent, le vin coula Ă  flots. Le pĂšre de Brunhilde, sieur Archibald fut content, il se crut assez malin d’unir les deux les plus nobles familles de la contrĂ©e. Brunhilde semblait tranquille, apaisĂ©e, une fille docile, soumise Ă  la volontĂ© de son pĂšre. La fĂȘte battait son plein, les voix s’élevĂšrent, les yeux brillĂšrent. ArrivĂšrent des musiciens qui ajoutĂšrent au vacarme qui envahit la salle. D’un coup comme par un enchantement on entendit sonner l’horloge sur la tour du chĂąteau. Douze coups retentirent. Brunhilde se leva de son siĂšge s’approcha d’Anna et fit signe pour inviter ses dames Ă  la danse. Un rond se forma autour de la fiancĂ©e. La musique devint lente et mĂ©lodieuse. A ce moment les deux battants de la grande porte de la salle s’ouvrirent avec fracas et le grand Dragon Junior fit son entrĂ©e solennelle dans la salle. L’homme Ă©tait assis sur le dragon entre les protrusions de son cou.  L’assistance sembla frappĂ©e d’un coup fatal. Tout le monde se posait une question : qui Ă©tait ce personnage qui eut du toupet d’enfourcher le Dragon ? Et quelles Ă©taient ses intentions ? Le dĂ©nouement vint vite. Le Dragon cria d’une voix tonitruante :

–   Restez sur vos places ! Ne bougez pas ! Si quelqu’un bouge je vais le rĂ©duire en cendre ! Ecoutez moi ! Brunhilde, Gaston le Vaillant doivent s’approcher de moi ! Les autres prennent leurs places.

Tous les invitĂ©s se tournĂšrent vers la belle fiancĂ©e et Gaston le Vaillant, dont la main se serra sur la poignĂ©e de son sabre. Brunhilde s’adressa d’une voix claire Ă  tous les invitĂ©s :

–   Je suis prĂȘte Ă  me sacrifier ! Je craignais toujours ce terrible Dragon mais ni mon pĂšre ni autres nobles seigneurs ne me croyaient pas !

Elle s’avança dans la direction du dragon, Gaston la suivit prestement. Ferdinand le Borgne ne bougeait pas ainsi que tous les autres. L’homme sur le dragon ne prononça pas un seul mot. Il fit place au couple qui s’assit derriĂšre l’homme. Jamais on ne pourrait imaginer qu’il soit possible d’utiliser l’horrible dragon en tant qu’un moyen de transport. Et pourtant
Le Dragon prit goĂ»t Ă  ce jeu assez dangereux. Il fixa l’assistance d’un Ɠil Ă©tincelant et ajouta presque amicalement :

–   Soyez sages, mes grands ! Je vous promets de rester loyal Ă  votre Ă©gard.

Drago Junior ouvrit la gueule pour que l’assistance puisse admirer ses dents pointues longues et aiguisĂ©es comme des dagues. La belle Brunhilde presque Ă©vanouie se pencha vers le chevalier et lui chuchota quelques mots. Drago ne perdit pas de temps et s’empressa vers la sortie. L’assistance fut si terrifiĂ©e, que personne ne bougea. Ferdinand le Borgne perdit tout son aplomb et sanglotait comme un petit enfant. Le premier qui fit preuve de prĂ©sence d’esprit fut le pĂšre de Brunhilde, sieur Archibald, il s’écria d’une voix de tonnerre :

–   Ceux parmi vous, qui n’ont pas oubliĂ© qu’ils sont de vrais hommes, suivez-moi !

A ce moment dĂ©cisif un Ă©vĂšnement extraordinaire se produisit. D’un coup on entendit un bruit sourd dont l’étendue et la force grandissait d’un moment Ă  l’autre. D’abord tout le monde pensa que le Dragon Junior revient pour exĂ©cuter ses terribles menaces mais aprĂšs une certaine confusion on sentit les secousses, et le sol sous leurs pieds commença Ă  danser. Un seul cri sortit des bouches des gens malheureux rĂ©unis dans la salle de festin : « Tremblement de terre ! C’est le courroux de Dieu ! ». La panique emporta la foule ainsi qu’un torrent violent dĂ©truisant tous les entraves. Les hommes et les femmes effarĂ©s se prĂ©cipitĂšrent dans la cour du chĂąteau. Le pont -levis s’écroula sous la masse des chevaliers fuyants le danger. Ferdinand le Borgne Ă©tait le premier dans l’eau de douves avec son cheval. Il criait si fort que son cheval essaya de se dĂ©barrasser du chevalier encombrant. Le cheval parvint Ă  le faire et l’homme qui Ă©tait si chanceux il y a une heure devint l’un des plus misĂ©rables. Il s’accrocha Ă  la queue du cheval de son Ă©cuyer et la tenait de toutes ses forces, comprenant que sa vie dĂ©pend de sa poigne. Le destin faisait son tri. Il y avait ceux qui rĂ©ussirent Ă  sortir de cette apocalypse, il y avait d’autres engloutis par les Ă©lĂ©ments. Ferdinand le Borgne se sauva comme par miracle. Le tremblement de terre s’arrĂȘta comme par enchantement. Le Dragon Junior transportant trois protagonistes-  Brunhilde, Gaston le Vaillant et notre homme courageux atterrit juste sous le saule pleureur. Pour Drago, Brunhilde et Gaston c’était une escale. Ils voudraient continuer leur voyage. Pour l’homme c’était diffĂ©rent.  Sa femme qui en attendant son homme s’endormit, se rĂ©veilla. Elle s’étonna, ce qui fut tout Ă  fait naturel ! On ne rencontre bien souvent le vrai Dragon en compagnie de la princesse prussienne et son fiancĂ© ! Ils bavardĂšrent, donnĂšrent des promesses de se voir de temps en temps, et se sĂ©parĂšrent comme de vrai amis. Drago, Brunhilde et Gaston s’envolĂšrent vers la France. Tous les trois avaient cette envie ardente de voyager Ă  travers ce beau pays oĂč vivent les gens courtois et joyeux.

La femme se tourna vers l’homme, le fixa et dit d’une voix tendre

–   Jamais je ne pourrais imaginer que tu sois capable se lier d’amitiĂ© avec le Dragon, princesse prussienne et Chevalier vaillant ! Jamais !

–   Oh, ma chĂ©rie ! Tu oublies une chose : nous avons vĂ©cu ensemble vingt ans ! Vingt ans !

–   Tu veux dire que notre vie en couple t’avais appris Ă  communiquer avec tout ce monde ?

–   Je ne dis pas avec tout le monde, mais avec Drago et princesse, c’est sĂ»r !

La femme sourit

–   Tu dois me remercier, mon cher. Sinon tu serais perdu dans une des oubliettes de ce chĂąteau mĂ©diĂ©val.

Le couple se regarda et s’embrassa avec passion tout comme Brunhilde et son jeune Chevalier vaillant.

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Written by Gulush Aga

Gulush Aghamammadova est nĂ©e Ă  Bakou. Elle Ă©crit la prose dĂšs 2000 en russe et en français. En 2010 Edilivre Ă  Paris publia son livre « Epistoles » et en 2014 « Lisa GhĂ©rardini » en français sous son nom d’auteur Gulush Aga. En 2016 Amazon Cratespace publie son livre « Mannequin», en 2017 le livre « Oriental woman». Les couvertures de deux livres sont en anglais, mais le contenu est en russe.
En 2019 à Litres voit le jour son livre « Nouvelles de Bakou» en russe. En 2019 Amazon Kindle publie son livre «Nouvelles hétéroclites» en français. En 2020 à Litres sort son livre «Ville fùntome». En 2023 elle publie son livre "Nouvelles de Bakou" sur Amazon, en 2024 la deuxiÚme édition livre "Lisa Ghérardini" toujours sur Amazon

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