La fleur enchantée

La nuit fut longue. Sa décision de trouver cette fleur maudite, qui causa le départ précipité du village entier se transforma en envie ardente. La fille était formelle. “Tu trouves la fleur infernale et moi, en échange, je t’offre ma virginité”. Il faudrait tout de même préciser que la fille avait 16 ans et était fraîche comme un bourgeon de rose et l’homme frisait la quarantaine.

Les rumeurs courraient sur le pouvoir étrange de la fleur. Les gens racontaient des histoires effrayantes. Le plus étrange était le fait que toutes ces anecdotes se différaient l’une de l’autre. On voulut  y découvrir un trait commun. Hélas, aucune chance. Tantôt on racontait que la fleur attaquait les passants et les embrassait par ces pétales écarlates en les étouffant jusqu’à la mort, tantôt on entendait le murmure qui ressemblait à des chants des sirènes, les gens s’endormaient et ne se réveillaient plus. Ou bien cette fleur commençait à émaner un parfum exquis qui empoisonnait tout être vivant.

L’homme vivait seul à la lisière de la forêt enchantée. Il se prépara minutieusement. S’habilla chaudement bien qu’il faisait assez chaud. C’était le printemps. Il prit son fusil de chasse, une besace, une lampe de poche et une pelle. L’homme se garda d’appeler son chien. Lui, il avait une raison pour risquer sa vie, il tomba amoureux.  Mais son chien fidèle devrait rester dans un lieu sûr.  Le ciel fut couvert cette nuit. L’homme n’avait pas peur. Les arbres dont les cimes bougeaient comme s’ils voulaient prévenir l’imprudent du danger imminent l’entouraient de tous côtés. Il s’avança sur le sentier qu’il éclairait avec sa lampe. Pourquoi est-il parti la nuit? Mais parce que la fleur infernale sortait à la chasse la nuit. Une branche craqua. Il leva sa lampe. Un ours énorme se tenait debout et le fixait. L’homme se figea sur place. La suie froide coulait le long de son dos. L’ours ne bougea pas, il attendait. Les deux oursons se tenaient non loin de l’animal énorme. C’était une ourse. Enfin, l’homme se décida. Il fit un pas prudent, puis un autre et s’en alla par le même sentier. L’ourse protégeait ses oursons.

L’homme fit un grand effort pour ne pas se retourner sur la bête. Il entendit le rugissement de l’ourse, mais ce bruit ressemblait plus à une alerte qu’à une menace. Il continua son chemin. Les bruits de la forêt nocturne l’effrayaient sans entamer sa volonté de trouver la fleur et de la présenter en cadeau nuptial à la fille capricieuse. L’homme entendit le hululement du hibou. Un pressentiment de malheur passa en éclair dans sa tête et refroidit ses mains. Il marchait obstinément de l’avant comme poussé par une force beaucoup plus puissante que la peur et le danger. Fatigué, il voulut faire une halte. Une clairière s’ouvrit devant ses yeux. Les lucioles encerclaient cette oasis merveilleuse surgie par miracle au milieu de la forêt sombre et effrayante. Il s’assit au milieu du cercle, sortit du pain et de l’eau de sa besace. Attiré par cette scène paisible un rare oiseau, merle blanc s’atterrit à côté de l’homme. L’oiseau était silencieux et semblait attendre quelque chose.  L’homme émietta un peu de pain et donna à l’oiseau, qui vint picorer des miettes dans la main tendue de l’homme. Un calme serein régnait sur cette clairière illuminée. L’homme ferma les yeux, s’endormit et soudain eut l’impression de s’envoler. Il ouvrit les yeux et se trouva assis sur l’énorme oiseau blanc l’amenant dans le ciel. Il embrassa le cou de l’oiseau. Le vent sifflait dans ses oreilles. L’homme se demandait quel était le dessein de cet oiseau étrange. Voulait-il le donner en pâture à ses oisillons ?

Le merle blanc commença à descendre et se posa sur un vaste parterre de fleurs de toutes les couleurs et de taille qui ondulaient sous le vent léger. L’oiseau le déposa avec soin par terre et devint de nouveau le petit merle blanc. Le parfum exquis émané par les fleurs tournait la tête de l’homme tombé dans une euphorie. Jamais de sa vie il n’avait vu un tableau aussi magnifique. Les fleurs commencèrent à émettre des sons ressemblant à la musique jouée par la harpe d’Eole. Au moins il se représentait ainsi la musique céleste de Dieu des vents Eole. Les sons mélodieux, semblables au tintement de petites clochettes en argent accompagnaient les mouvements ondulés des fleurs. Au milieu de ce tourbillon multicolore il y avait une place élevée vide. L’ultime fleur, la plus belle, la plus gracieuse manquait à ce spectacle grandiose. L’homme se leva, voulant voir de près ces fleurs merveilleuses. Il se fraya le passage et fut étonné par les branches fortes et épineuses qui déchiraient ses vêtements, égratignaient sa peau. Il fit un effort de reculer mais en vain. Derrière lui le sentier se referma. Sa tête tournait empoisonnée par l’odeur envahissante et très forte des fleurs. Sa première pensée sur le paradis terrestre dont il eut la chance de découvrir, s’évanouit. L’idée de la solitude qui le consolait autrefois, lui parut décevante, sans intérêt. Personne n’allait le chercher, sauf peut-être son chien fidèle.

Les branches des fleurs le tenaient fort. Il se rappela d’un coup de tous les récits bizarres sur la fleur étrange qu’il cherchait. Là où il se trouva à présent c’était encore pire. Ce n’était pas une seule fleur, mais une foule de fleurs. Chacune essayait de le blesser, lui nuire. L’homme se batailla tant qu’il put. Ses forces s’épuisaient à vue d’œil. Au bout d’une heure il s’avoua qu’il était vaincu par ces belles fleurs tant admirées. Il se prépara à passer dans l’au-delà, leva les yeux vers le ciel comme s’il demandait la mort paisible. Sa prière n’était pas exaucée. Un tourbillon descendit sur son visage. Une rose vermeille tomba sur sa poitrine. Elle était splendide. L’homme comprit que cette rose devrait être la reine de ce royaume des fleurs, tant elle était brillante. Le parfum de la rose était douce, léger ne ressemblant en rien aux odeurs lourdes, épicées des autres plantes. Elle déploya ses pétales pour forcer l’admiration. L’homme suffoquait, il avait l’impression d’atteindre un sommet vertigineux d’une haute montagne. L’homme avait entendu les récits des alpinistes après l’escalade des pics inaccessibles pour les simples mortels. Une joie immense, et en même temps l’essoufflement et la perte de vue. Le même effet produisit sur lui cette rose éclatante. Il ferma les yeux et entendit comme un léger murmure : « Embrasse-le ! Embrasse-le » La rose se pencha sur lui, étendit ses branches épineuses pour le prendre dans un cercle d’acier. L’homme ouvrit les yeux, fixa la fleur et prononça nettement : Gulum, le prénom très rare de sa bienaimée. La rose laissa tomber ses branches, ferma ses pétales. Le murmure des fleurs devint plus fort « Embrasse-le, embrasse- le ».

Le merle blanc qui se tenait coi observant cette scène dramatique, ouvrit ses ailes, s’agrandit en un clin d’œil, tira à l’aide de ses pattes l’homme du cercle vicieux des fleurs enragées et s’envola très haut dans le ciel. L’homme garda sur sa poitrine la rose qui lui égratignait la peau. Le merle fit un tour au-dessus du parterre des fleurs et l’homme découvrit avec surprise une foule de femmes en vêtements bariolés, brandissant leurs bras au-dessus de leurs têtes et criant à tue-tête « Embrasse-le, embrasse-le » ! L’oiseau parut satisfait de sa manœuvre et s’éloigna de cette horde dangereuse.

L’oiseau se posa sur la même clairière encerclée par des lucioles. Le merle blanc remplit sa promesse à son ami, le chien, compagnon fidèle de l’homme à fleur et ne souciait plus de leur destin.

Ce qui parut extraordinaire à tout observateur étranger n’avait point étonné l’homme. La rose sur sa poitrine se réveilla, s’agrandit et devint celle qu’elle était dans la vie ordinaire. La fille appelée Gulum, ce qui signifiait Ma rose, en langue de ses ancêtres. Elle embrassa son homme avec la douceur de la rose sans épines et l’ardeur de l’amante.

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Written by Gulush Aga

Gulush Aghamammadova est née à Bakou. Elle écrit la prose dès 2000 en russe et en français. En 2010 Edilivre à Paris publia son livre « Epistoles » et en 2014 « Lisa Ghérardini » en français sous son nom d’auteur Gulush Aga. En 2016 Amazon Cratespace publie son livre « Mannequin», en 2017 le livre « Oriental woman». Les couvertures de deux livres sont en anglais, mais le contenu est en russe.
En 2019 à Litres voit le jour son livre « Nouvelles de Bakou» en russe. En 2019 Amazon Kindle publie son livre «Nouvelles hétéroclites» en français. En 2020 à Litres sort son livre «Ville fântome». En 2023 elle publie son livre "Nouvelles de Bakou" sur Amazon, en 2024 la deuxième édition livre "Lisa Ghérardini" toujours sur Amazon

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